Jacques Derrida

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Le temps de la lecture
Geoffrey Bennington

Études françaises, Derrida lecteur, Volume 38, numéro 1-2 (2002)

à Michel Lisse 

Jacques Derrida«Derrida lecteur». Cet énoncé est lui-même à lire, ici même, en plusieurs temps.

Premier temps, lui-même en plusieurs temps: «Derrida (est un) lecteur», évidemment. Est-ce à dire qu’il est essentiellement lecteur, lecteur avant tout, que l’attribut recouvrirait ainsi le tout du sujet? Ou risquerait-on ainsi, doublant la louange ou la profession d’admiration («Derrida (est un grand) lecteur», «Derrida, (quel) lecteur(!)», ou même «Derrida (est un) lecteur (incomparable)»), un certain effet d’amoindrissement, voire de déconsidération ou de déception, tel «Derrida (au fond (n’) est (qu’) un) lecteur»? Et donc, par exemple, pas vraiment un philosophe, pas vraiment un penseur.

Dira-t-on donc, de préférence, «Derrida (est d’abord un) lecteur (certes, mais…)», à compléter par un énoncé soit d’addition, soit de déplacement? Par exemple, dans le premier cas, «Derrida (est un) lecteur (certes, mais c’est aussi un penseur original)», quelqu’un qui fait donc, aussi, autre chose que lire, mieux et autre chose, qui ajoute quelque chose d’essentiel une fois le livre fermé, après la lecture qui aurait préparé cet ajout sans pourtant le dicter de part en part? Ou, pour le second cas, «Derrida (est un) lecteur (certes, mais qui, à force de lire comme il le fait, change complètement notre compréhension et notre pratique de la lecture elle-même)». Auquel cas notre énoncé de base, lui-même lu ainsi, recèlerait déjà, dans ce mot si rassurant de «lecteur», un séisme interne qui ferait que, pour le lire, nous sommes obligés de faire une expérience de lecture au cours de laquelle le mot et le concept de «lecteur» se voient discrètement mais massivement bouleversés, si bien qu’après cette expérience, dans un deuxième temps, nous ne savons plus très bien ce que «lecteur» veut dire (ni donc si Derrida ne fait que lire ou bien s’il fait, comme on a dit, mieux et autre chose aussi).

Voici donc déjà un deuxième temps. Comment l’articuler sur le premier? C’est toute notre question, et tout le drame de la lecture elle-même, qui va nous occuper dans les quelques pages qui suivent, dans le temps qui nous est donné ici.

Mais n’oublions pas un troisième temps: «Derrida lecteur», à retourner aussi en apostrophe adressée, non pas à Derrida, mais bien au lecteur, donc à vous, à toi en fait, en l’occurrence, in the event, à toi seul(e), dans un «(Voici) Derrida, (ô) lecteur», je te le présente ici même, à toi seul(e), je te le donne, selon le contrat présumé de ce numéro qui se nommerait ainsi et t’interpellerait en même temps. Et ce troisième temps ne peut que ramasser — tout en s’adressant à toi, donc toujours dans un autre temps, singulier mais indéfiniment relancé vers d’autres temps encore, d’autres autres — tous les autres temps en fait ouverts en retour par ce troisième devenu premier. Ce qui, lecteur, (s’)appelle lecture, le temps. 

* 

Est-ce un hasard si, déjà au cours de La voix et le phénomène, on trouve, entremêlées, une réflexion (explicite) sur la lecture du temps et une réflexion (plus indirecte) sur le temps de la lecture? La phénoménologie de la conscience intime du temps selon Husserl trouverait une de ses limites essentielles dans son incapacité de rendre compte de la structure temporelle nommée Nachträglichkeit par Freud. Ici, et dans bien d’autres textes de la même époque, Derrida, tout en reconnaissant la nécessité et la fécondité de la lecture husserlienne du temps, dira que celle-ci ne peut comprendre les effets d’après-coup et d’à-retardement découverts par Freud. Par exemple: «Ce n’est pas un hasard si les Leçons sur la conscience intime du temps confirment la dominance du présent et rejettent à la fois l’“après-coup” du devenir-conscient d’un “contenu inconscient”, c’est-à-dire la structure de la temporalité impliquée par tous les textes de Freud[i].» Derrida lui-même renvoie en note à «Freud et la scène de l’écriture», où il affirme dans un passage très connu que la Nachträglichkeit serait la vraie découverte de Freud[ii]. Et on trouvera des expositions plus pédagogiques de ce qui ferait que la description freudienne échappe aux analyses husserliennes dans «La différance[iii]», et De la grammatologie:

 

[…] déconstruire la simplicité de la présence ne revient pas seulement à tenir compte des horizons de présence potentielle, voire d’une «dialectique» de la protention et de la rétention qu’on installerait au coeur du présent au lieu de l’en entourer. Il ne s’agit donc pas de compliquer la structure du temps tout en lui conservant son homogénéité et sa successivité fondamentales, en montrant par exemple que le présent passé et le présent futur constituent originairement, en la divisant, la forme du présent vivant. Une telle complication, qui est en somme celle-là que Husserl a décrite[iv], s’en tient, malgré une audacieuse réduction phénoménologique, à l’évidence, à la présence d’un modèle linéaire, objectif et mondain. Le maintenant B serait en tant que tel constitué par la rétention du maintenant A et la protention du maintenant C; malgré tout le jeu qui s’ensuivrait, du fait que chacun des trois maintenant reproduit en lui-même cette structure, ce modèle de la successivité interdirait qu’un maintenant X prenne la place du maintenant A, par exemple, et que, par un effet de retardement inadmissible pour la conscience, une expérience soit déterminée, dans son présent même, par un présent qui ne l’aurait pas précédée immédiatement mais lui serait très largement «antérieur». C’est le problème de l’effet à retardement (nachträglich) dont parle Freud. La temporalité à laquelle il réfère ne peut être celle qui se prête à une phénoménologie de la conscience ou de la présence et sans doute peut-on alors contester le droit d’appeler encore temps, maintenant, présent antérieur, retard, etc., tout ce dont il est ici question[v].

 

On se souviendra également de la célèbre assertion, dans «Ousia et Grammè», que «le concept de temps appartient de part en part à la métaphysique… on ne peut lui opposer un autre concept du temps, puisque le temps en général appartient à la conceptualité métaphysique[vi]», ce qui, enfin, motiverait (tout en la compliquant) la remarque dans «Freud et la scène de l’écriture» selon laquelle l’inconscient ne pourrait être dit «intemporel qu’au regard d’un certain concept vulgaire du temps[vii]».

Or, dans La voix et le phénomène, c’est dans ce contexte immédiat que se produit un certain geste par rapport à la lecture. En effet, selon un mouvement qu’on retrouverait aussi bien dans d’autres textes des années soixante et au-delà, Derrida procède d’abord prudemment selon ce qu’il appelle d’une part «commentaire» et d’autre part «interprétation». Par «commentaire», ici, il faut de toute évidence comprendre ce qui ailleurs est appelé «commentaire redoublant[viii]», qui cherche à respecter le «sens patent[ix]» du texte, et par «interprétation» le fait de prolonger ce sens patent de façon homogène, énoncer ce qui n’est peut-être pas dit dans le texte, mais qui y est impliqué, qui reste en quelque sorte dans la droite ligne de ce qui y est dit, toujours présentable dans l’ordre de l’«intention[x]». Mais au début du dernier chapitre du livre, ayant résumé encore l’impossibilité de penser le temps de la différance selon «la simple complication homogène d’un diagramme ou d’une ligne du temps, comme “succession” complexe[xi]», Derrida pose la nécessité d’une autre lecture: «Il nous faut maintenant vérifier, à travers la première Recherche, en quoi ces concepts respectent les rapports entre le signe en général (indicatif autant qu’expressif ) et la présence en général. À travers le texte de Husserl, c’est-à-dire dans une lecture qui ne peut être simplement ni celle du commentaire ni celle de l’interprétation[xii].» Cette autre lecture, ou cet autre ordre de la lecture, donc, doit traverser le texte lu, tout en y laissant la trace ou le sillage de cette traversée: cette traversée tend à excéder le commentaire et l’interprétation qu’elle ne renie pas (en un certain sens elle en dépend) et mener vers une zone située apparemment au-delà de ce que commentaire et interprétation peuvent produire ou reconnaître. Ce sera le même geste, toujours à propos de Husserl, dans De la grammatologie, où la lecture doit exploiter toutes les ressources de l’analyse transcendantale contre l’objectivisme, non pas simplement pour conforter la transcendantalité du transcendantal, mais pour viser un certain «au-delà»:

 

C’est qu’il y a, croyons-nous, un en-deçà et un au-delà de la critique transcendantale. Faire en sorte que l’au-delà ne retourne pas dans l’en-deçà, c’est reconnaître dans la contorsion la nécessité d’un parcours. Ce parcours doit laisser dans le texte un sillage. Sans ce sillage, abandonné au simple contenu de ses conclusions, le texte ultra-transcendantal ressemblera toujours à s’y méprendre au texte précritique[xiii].

 

Et pourtant, cet au-delà («ultra-transcendantal») doit bien, malgré cette mise en garde, être en deçà en un certain sens, l’ouverture même de la lecture elle-même, «avant» sa détermination comme commentaire ou interprétation. Or, bien qu’à ma connaissance Derrida ne formule jamais les choses ainsi (nous passons donc nous-même de toute évidence de l’ordre du commentaire à l’ordre de l’interprétation), il semblerait que ce passage au-delà/en deçà doive engager une réflexion sur le temps de la lecture elle-même. Avançons l’hypothèse, donc, que commentaire et interprétation sont excédés par ce nouveau geste de lecture comme la phénoménologie de la conscience intime du temps est excédée par la Nachträglichkeit freudienne.

On pourra peut-être cerner de plus près cette analogie (qui doit être en fait bien plus qu’une analogie) en posant la question ainsi. Pour faire vite, appelons «déconstruction» la «troisième» lecture, qui excède en traversant le commentaire et l’interprétation, qui en quelque sorte, et malgré tout le respect qu’elle leur doit (qu’elle leur donne), passe outre. Nous avons déjà vu que cette lecture, qui semblait venir en principe après les deux autres, les précède aussi bien, et prétend, dans son «ultra-transcendantalité» même, toucher à ce qui ouvre la lecture en tant que telle, donner en quelque sorte les «conditions de possibilité» de toute lecture. Le commentaire et l’interprétation seraient donc des déterminations ultérieures de cette ouverture originaire, déjà des limitations en retour d’une lecture qui, dans sa possibilité essentielle, ne peut être de l’ordre ni du commentaire ni de l’interprétation. La déconstruction, donc, vient à la fois avant et après commentaire et interprétation. Comment la situer, comment placer son événement dans le temps? Quand est-ce que la déconstruction a lieu? Est-ce que la pensée de la Nachträglichkeit peut nous aider ici?

On connaît la description de Freud, dès le Projet de 1985. Difficile, voire impossible, de situer l’événement en question dans un temps linéaire, pour compliqué qu’il soit[xiv]. Disons qu’il «a lieu» pour la première fois dans sa «répétition». Ne pourrons-nous pas maintenant dire exactement la même chose de «l’événement» de la déconstruction? L’événement «pharmakon», par exemple (il ne s’agit évidemment pas de n’importe quel exemple, mais dans cette optique aucun exemple n’est simplement un exemple, tous sont singulièrement exemplaires, selon la logique même de l’exemplarité telle que Derrida l’a souvent développée[xv]), a-t-il lieu «dans» le texte intitulé «La pharmacie de Platon» en 1970, ou bien «dans» les textes de Platon plusieurs siècles plus tôt? Évidemment il n’y a aucune réponse satisfaisante à une telle question qui, pourtant, ne cesse de se poser, encore aujourd’hui, en 2002: l’événement en question fait date sans être lui-même datable[xvi].

Est-ce oublier que chez Freud la Nachträglichkeit décrit toujours une expérience proprement traumatique qui a en outre toujours rapport à la sexualité proprement humaine et sa temporalité toute en prématuration et retardement? Non, d’abord dans la mesure où on peut dire que chez Freud toute expérience a un aspect traumatique, au sens où toute expérience est violente, effractive (ce serait le principe de toute une relecture, chez Derrida et d’autres, du concept même d’expérience[xvii]). Et comment lire La carte postale autrement que comme l’«analyse[xviii]» interminable d’un certain événement, traumatique et fondateur pour la pensée occidentale, autour de Platon et de Socrate, et qui se répète jusqu’à Freud, justement, «et au-delà»? Non ensuite parce que le «propre» de la sexualité ainsi nommée serait d’être «sexuel» avant toute sexuation (au sens de la «différence sexuelle[xix]»), et d’ouvrir ainsi sur des questions d’affect (et surtout d’amour) qu’il faudrait un jour suivre en détail, jusqu’au récent livre sur le toucher[xx].

S’il est permis de généraliser la structure de la Nachträglichkeit ainsi, dans un geste de lecture par rapport à Freud qui va lui-même au-delà du commentaire et de l’interprétation, il semble bien qu’on puisse y faire appel pour décrire la temporalité de la lecture «elle-même», à la fois en deçà et au-delà du commentaire et de l’interprétation, à la fois avant et après. Et tout comme l’événement «vécu» selon la Nachträglichkeit n’est jamais proprement vécu, tout comme l’expérience comprise selon cette même structure n’est jamais proprement objet d’expérience au sens classique du terme, il faudrait aller jusqu’à dire que ce qui ressort de notre petite lecture de la lecture chez Derrida est une «expérience» de la lisibilité même, qui serait en tant que telle illisible. Une fois reconnue la nécessité du troisième-premier moment de la lecture comme déconstruction, on est confronté à une certaine expérience de l’illisibilité. On dira maintenant que tout ce qui dans nos lectures relève du commentaire érudit (ici même aussi, évidemment) s’élève (en «garde-fou», justement[xxi]) contre cette expérience fondamentale où se joue une certaine folie qui seule rend la lecture possible. Rien en effet ne serait lisible si le texte se contentait d’avoir lieu au moment de sa composition ou de sa publication, s’il se limitait à ce qu’on appelle tranquillement son «contexte», auquel tous les historicismes nous demandent de le remettre, sans jamais se poser la question de savoir comment il avait commencé par en sortir. Cette folie de l’illisibilité est essentiellement imprésentable et ne peut que choquer les normes universitaires. On peut en témoigner ou bien l’avouer mais, passé un certain point, on ne peut plus directement l’exposer. C’est exactement le sens du différend entre Foucault et Derrida autour de la lecture de Descartes, où le «projet fou» qui définit la philosophie en tant que telle, qui fait que «je ne philosophe que dans la terreur, mais dans la terreur avouée d’être fou», et qui fait de la philosophie elle-même un «gigantesque aveu» d’une trahison irréductible par laquelle cette folie s’expose et ainsi se protège en se trahissant[xxii] — où ce projet fou décrit assez exactement la structure de la lecture telle que Derrida nous la donne à penser, en son temps, ou mieux son rythme.

Pourra-t-on un jour lire Derrida lui-même à la manière de Derrida lecteur? En d’autres termes, pourra-t-on espérer dépasser les moments de commentaire et d’interprétation où ses meilleurs lecteurs se trouvent encore aujourd’hui? La question est sans doute mal posée, et risque fort de retomber dans la temporalité linéaire qu’il s’agissait d’interrompre, de confondre «à-venir» et avenir. En tout cas, il faudrait à tout le moins commencer par reconnaître qu’une telle lecture de Derrida est, comme il se doit, déjà à l’oeuvre chez Derrida, que l’historicité «interne» de son oeuvre est déjà travaillée par la temporalité que nous avons décrite, si bien que «Derrida lecteur» est déjà aussi toujours lecteur de Derrida (et nous a ainsi aidé en sous-main à lire après-coup tout ce qu’on a lu dans ces textes déjà «anciens[xxiii]»), dont les lectures toujours si nouvelles sont aussi l’aveu répété (et nécessairement traître, parjure, comme il dit si souvent aujourd’hui) de l’illisibilité de ce qu’il aura ainsi déjà écrit, et lu. Ce pourquoi seul, lecteur, nous aurons été là, à le lire encore. Derrida, lecteur[xxiv]


 

[i] Jacques Derrida, La voix et le phénomène, Paris, PUF, 1967, p. 70-71.

[ii] Voir Jacques Derrida, «Freud et la scène de l’écriture», dans L’écriture et la différence, Paris, Seuil, coll. «Tel Quel», 1967, p. 293-340, et surtout les pages 303, 313-314, 317-318. Nous avons commenté ailleurs certains de ces passages: voir Geoffrey Bennington, «Circanalyse (la chose même)», dans Patrick Guyomard et René Major (dir.), Depuis Lacan. Colloque de Cerisy, Paris, Aubier, coll. «La psychanalyse prise au mot», 2000, p. 270-294.

[iii] «La structure du retardement (Nachträglichkeit) interdit en effet qu’on fasse de la temporalisation (temporisation) une simple complication dialectique du présent vivant comme synthèse originaire et incessante, constamment reconduite à soi, sur soi rassemblée, rassemblante, de traces rétentionnelles et d’ouvertures protentionnelles. Avec l’altérité de l’“inconscient” nous avons affaire non pas à des horizons de présents modifiés — passés ou à venir — mais à un “passé” qui n’a jamais été présent et qui ne le sera jamais, dont l’“avenir” ne sera jamais la production ou la reproduction dans la forme de la présence. Le concept de trace est donc incommensurable avec celui de rétention, de devenir-passé de ce qui a été présent. On ne peut penser la trace — et donc la différance — à partir du présent, ou de la présence du présent» ( Jacques Derrida, «La différance», dans Margesde la philosophie, Paris, Minuit, coll. «Critique», 1972, p. 21-22). Selon une temporalité qui n’est autre que celle que nous essayons de comprendre, le terme «à-venir» (qui figure ici peut-être pour la première fois chez Derrida?) est lui-même déjà promis à un «avenir» brillant chez Derrida lui-même.

[iv] À ma connaissance, Derrida n’insiste jamais sur le fait que ces analyses de Husserl concernent explicitement la constitution des objets temporels (l’exemple de Husserl est une mélodie). Jusqu’à un certain point, on pourrait soupçonner que tout ce qui complique la description husserlienne pourrait se déduire d’une tentative d’élargir le principe de cette analyse à «l’objet temporel» appelé «texte».

[v] Jacques Derrida, De la grammatologie, Paris, Minuit, coll. «Critique», 1967, p. 97-98.

[viii] Jacques Derrida, De la grammatologie, op. cit., p. 227

[ix] Voir Jacques Derrida, «Cogito et histoire de la philosophie», dans L’écriture et la différence, op. cit., p. 70, rappelé et défendu trente ans plus tard dans «Être juste avec Freud», dans Résistances de la psychanalyse, Paris, Galilée, coll. «La philosophie en effet», 1996, p. 97-98.

[x] Faut-il rappeler que «intention» dans ces textes ne renvoie jamais à une mystérieuse intériorité de l’écrivain, mais à une strate strictement textuelle, à «ce qui du signifiant se donne comme signifié». Il faut aussi se garder de prêter trop de rigidité à cette distinction entre commentaire et interprétation, dans la mesure (et c’est un effet des structures temporelles que nous interrogeons) où l’interprétation a déjà commencé au moment du commentaire. Voir un moment de la Grammatologie qui est sans doute moins souvent lu que la célèbre «Question de méthode»: «Il faut sans cesse considérer le texte de Rousseau comme une structure complexe et étagée: certaines propositions peuvent y être lues comme des interprétations d’autres propositions que nous sommes, jusqu’à un certain point et avec certaines précautions, libres de lire autrement. Rousseau dit A, puis il interprète, pour des raisons que nous devons déterminer, A en B. A qui était déjà une interprétation, est réinterprété en B. Après en avoir pris acte, nous pouvons, sans sortir du texte de Rousseau, isoler A de son interprétation en B et y découvrir des possibilités, des ressources de sens qui appartiennent bien au texte de Rousseau mais n’ont pas été produites ou exploitées par lui, auxquelles, pour des motifs eux aussi lisibles, il a, par un geste qui n’est ni conscient ni inconscient, préféré couper court» (De la grammatologie, op. cit., p. 433-434).

[xi] Jacques Derrida, La voix et le phénomène, op. cit., p. 98.

[xii] Ibid.

[xiii] Jacques Derrida, De la grammatologie, op. cit., p. 90.

[xiv] Pour une analyse détaillée de cette question, on se reportera à Jean-François Lyotard, «Emma», dans Misère de la philosophie, Paris, Galilée, 2000, p. 57-95. J’ai esquissé une analyse parallèle de la place de la Nachträglichkeit chez Lyotard dans «Time after Time», à paraître dans Journal of the British Society for Phenomenology.

[xv] Voir, «par exemple», Jacques Derrida, L’écriture et la différence, op. cit., p. 67-68 et 259; «Cartouches», dans La vérité en peinture, Paris, Flammarion, 1979; Parages, Paris, Galilée, coll. «La philosophie en effet», 1986, p. 256; Passions, Paris, Galilée, 1993, p. 42-43, etc. On pourrait, dans la perspective qui est ici la nôtre, organiser toute une lecture de Derrida autour de cette logique de l’exemple.

[xvi] Voir la discussion de la structure de la date et de la datation dans Schibboleth. Pour Paul Celan, Paris, Galilée, coll. «La philosophie en effet», 1986.

[xvii] Voir Jacques Derrida, «Freud et la scène de l’écriture», dans L’écriture et la différence, op. cit., p. 301 : «C’est parce que le frayage fracture que, dans l’Esquisse, Freud reconnaît un privilège à la douleur.» Dans un travail en préparation, je trace le destin du concept d’expérience à partir des réserves émises dans De la grammatologie (op. cit., p. 89) jusqu’à sa revalorisation chez Derrida aussi bien que chez Nancy et Lacoue-Labarthe dans les années quatre-vingt.

[xviii] L’insuffisance du concept d’«analyse» pour ce qui nous concerne ici (ce pourquoi nous préférons encore le concept de lecture) a été mise en évidence dans «Résistances», Résistances de la psychanalyse, op. cit.

[xix] Voir à ce sujet Jacques Derrida, «Geschlecht: différence sexuelle, différence ontologique», dans Psyché. Inventions de l’autre, Paris, Galilée, coll. «La philosophie en effet», 1987, et surtout p. 413-414.

[xx] Jacques Derrida, Le toucher, Jean-Luc Nancy, Paris, Galilée, coll. «Incises», 2000.

[xxi] Voir ce passage dans la «Question de méthode»: «Sans doute ce moment du commentaire redoublant doit-il avoir sa place dans la lecture critique. […] Mais cet indispensable garde-fou n’a jamais fait que protéger, il n’a jamais ouvert une lecture» (De la grammatologie, op. cit., p. 227).

[xxii] Jacques Derrida, «Cogito et histoire de la folie», dans L’écriture et la différence, op. cit., p. 96.

[xxiii] Nous ne parlons pas seulement ici des cas (ils sont nombreux) où il est explicitement question de textes antérieurs, selon un pli qu’on dira volontiers «autobiographique» ; mais ces textes nous aident à comprendre que tous les textes (même les premiers) sont pris dans un travail de lecture et de relecture d’un «événement» de pensée qui, selon la logique même que nous avons décrite, ne pourra jamais être simplement situé (daté) dans le cours d’une vie. Voir à ce sujet «L’avertissement» de Derrida, écrit en 1990, au Problème de la genèse dans la philosophie de Husserl, Paris, PUF, 1990, d’abord rédigé en 1953-1954: «Cette lecture panoramique qui balaie ici tout l’oeuvre de Husserl avec l’impudence imperturbable d’un scanner se réclame d’une sorte de loi dont la stabilité me paraît aujourd’hui d’autant plus étonnante que, jusque dans sa formulation littérale, elle n’aura cessé, depuis lors, de commander tout ce que j’ai tenté de démontrer, comme si une sorte d’idiosyncrasie négociait à sa manière, déjà, une nécessité qui la dépasserait toujours et qu’il faudrait interminablement se réapproprier. Quelle nécessité ? Il s’agit toujours d’une complication originaire de l’origine, d’une contamination initiale du simple, d’un écart inaugural qu’aucune analyse ne saurait présenter, rendre présent dans son phénomène ou réduire à la ponctualité instantanée, identique à soi, de l’élément» (p. VI-VII). On imagine le problème abyssal qui se poserait ici à quiconque voudrait entreprendre d’écrire une biographie intellectuelle de Derrida: voir à ce sujet les quelques considérations préliminaires que nous avons avancées dans «A Life in Philosophy» (<http://www.sussex.ac.uk/Users/sffc4>).

[xxiv] On se reportera au chapitre 2 du tout récent livre de Michel Lisse, L’expérience de la lecture. Le glissement, Paris, Galilée, coll. «La philosophie en effet», 2001, pour une très riche discussion de tout ce que nous avons évoqué ici.

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