Karl Höffkes


Wandervogel
Révolte contre l’esprit bourgeois

ANNEXE

Arnvald du Bessin


« Les Oiseaux Migrateurs » :
Wandervögel en France aujourd’hui.


Il a fallu attendre exactement quatre-vingt dix ans après la création officielle du mouvement Wandervogel à Steglitz pour voir l’émergence d’une organisation de jeunesse se réclamant de ce mouvement en France, prenant pour nom sa traduction française : « Les Oiseaux Migrateurs ».

Ce mouvement est parti de Normandie, au cœur du Cotentin, de l’initiative d’une poignée de jeunes Normands, à la fois profondément attachés à la culture de leur région, et fascinés par le modèle du mouvement allemand, si méconnu en France, et qu’ils avaient découvert au travers de leurs lectures. Ils avaient le sentiment que là était le modèle qui apportait enfin la réponse à leurs aspirations, que le scoutisme français ne pouvait que laisser insatisfaites. En effet, ils y avaient trouvé le développement d’une « éducation totale », d’une éthique de vie telles qu’ils les concevaient. Elles mêlent tout à la fois esprit völkisch (notion complexe signifiant en même temps « régionaliste », « traditionnel », « populaire » et « rural »), esprit de camaraderie, de liberté (1) et de « révolte contre l’esprit bourgeois » (2). Ils y retrouvent aussi une certaine conception écologique du monde, l’aspiration à une vie simple, saine et proche de la nature, le rejet du monde des villes et de ses valeurs artificielles qui aliènent la jeunesse, et qui ont fait oublier aux hommes l’essence des choses et de la nature. Enfin, et surtout, ils font leur l’exaltation des grandes randonnées de la jeunesse wandervogel dans une nature retrouvée, à la découverte de leurs régions, mais aussi de l’Europe, sillonnant bocages, landes, forêts et montagnes. Là est d’ailleurs la première devise que prit leur groupe : « Normands et Européens », à savoir enracinés et affirmés dans leur culture propre (esprit völkisch), et partageant les valeurs universelles, européennes des Wandervogels, ainsi qu’un héritage et un patrimoine culturel communs aux peuples européens.

Par une analogie étonnante, et de façon bien inconsciente d’ailleurs, les premiers développements de ce mouvement naissant suivirent ceux des premiers groupes wandervogels allemands. En effet, ce fut d’abord un « groupe de copains », comme on dirait familièrement, peu structuré – même si les activités étaient relativement nombreuses, principalement des randonnées en Normandie -, et sans grande unité dans la tenue vestimentaire, typiquement à l’image de ce qu’on a appelé le Ur Wandervogel, celui des premiers temps.

Puis, à la suite des premiers contacts avec un des plus anciens groupes wandervogels allemands, une nouvelle impulsion fut donnée aux jeunes Oiseaux Migrateurs Normands, qui découvrirent alors de visu l’esprit et la forme « wandervogels » qu’ils n’avaient connus jusqu’à présent que dans les livres : la réalité dépassait la fiction. Définitivement convaincus qu’ils avaient trouvé la bonne voie, ils furent aussi conscients de l’ampleur de la tâche à accomplir : ils partaient de zéro, n’ayant pour eux que leur volonté, leurs bonnes intentions, et leur état d’esprit. Le tournant bündisch fut alors pris : il fallait structurer le mouvement.

Très vite, une tenue vestimentaire « Oiseaux » fit son apparition, voulant se démarquer par son côté völkisch, traditionnel, de l’uniforme scout. Elle est issue d’une synthèse d’éléments wandervogels bündisch (knickers et chemise) et de spécificités régionales françaises : le « Afe » (sac à dos) des Allemands fut remplacé par le bon vieux « Bergame » français, la JuJa par l’ancien « track » des chasseurs alpins français. Quant à la Kohte, la fameuse tente lapone emblématique des Wandervogels, elle fut évidemment adoptée. De même apparut sur les chemises l’insigne des Oiseaux Migrateurs : le « Bouais-Jan » (mot normand signifiant « fleur d’ajonc »), symbolisant pour la Normandie ce qu’est le « Chardon » à l’Ecosse (3). Mais aussi porte-t-on dorénavant, sur l’épaule, l’écu de sa région. En effet, de nouveaux jeunes, nombreux, se sont joints au mouvement, venant d’autres régions de France, où ils formèrent à leut tour leur propre groupe régional des Oiseaux Migrateurs. Le premier fut celui de Bretagne.

Outre dans la forme, c’est aussi dans le fond que le mouvement prit alors son essor et sa maturité, cultivant ses spécificités régionales. Concernant l’aspect volkish, on y apprend et pratique les langues, les danses traditionnelles et les chants des régions. On y remet aussi au goût du jour les fêtes traditionnelles régionales qui, depuis la nuit des temps, ont rythmé la vie de nos peuples, et que les aléas du monde moderne ont pu faire tomber en désuétude : feux de solstice d’été (Saint Jean), fêtes de solstice d’hiver (Jul, Noël), et autres Champs de Mai (1er mai). De plus, partant du principe que l’esprit du peuple vit dans les campagnes, les jeunes « Oiseaux » aspirent à entretenir un contact étroit avec le monde rural, en participant par exemple aux travaux des champs. Enfin, ils pratiquent ce qui fait l’essence du mouvement : la vie de groupe, les sports collectifs, et surtout les grandes marches à travers les régions sauvages de France et d’Europe, qui contribuent à cultiver la défense de l’environnement par l’apprentissage de la nature.
Enfin, une des grandes spécificités du mouvement des Oiseaux Migrateurs réside dans l’organisation de « Hautes Écoles Populaires », dont le nom et le concept sont issus de la Folke Hojskole fondée par le réformateur danois N.F.S. Grundtvig dans la première moitié du XIXe siècle, qui a initié un fort courant de renouveau culturel et populaire dans toute la Scandinavie, et qui se voulait un « éveilleur de peuple » (4). Il voulait en faire une alternative à l’éducation académique d’état (universités, etc.), qu’il qualifiait d’« école de mort », opposant à cette dernière une « école de vie », celle qu’il prônait. Par des cours qui vont de l’histoire régionale et européenne à la mythologie (5) et légendes populaires, en passant par les traditions, les danses, les chants, les langues, la faune et la flore régionales, on y apprend la « culture populaire » (dans le sens du Folke-Dannelse de Grundtvig), une « culture de la vie », visant à insuffler, à éveiller « l’esprit du peuple » (l’esprit folkelig des Norvégiens) et à transmettre le « souffle vital » (6), à forger des esprits enracinés.

En conclusion, les Oiseaux Migrateurs, Wandervogels en France aujourd’hui, sont nés de la même révolte de la jeunesse que celle dont étaient animés leurs prédécesseurs allemands, voici maintenant un siècle. En effet, même si en surface la société française apparaît difficilement comparable à la société wilhelmienne de l’époque, les problèmes de fond demeurent intacts pour la jeunesse : aliénation dans le monde urbain, prise d’otage morale, politique, voire religieuse par le monde des adultes (notamment celui des médias et scolaire), endoctrinement consumériste et matérialiste, déracinement et perte de repères culturels et moraux. La jeunesse actuelle ne pense pas par elle-même : on conçoit pour elle du « prêt à penser ». Cette société ne lui sert plus qu’un monde insipide, fade, gris et indifférencié. Rien n’a changé en fait depuis un siècle. L’esprit bourgeois tel que le définissent un Flaubert ou un Höffkes demeure : est bourgeois celui qui accepte un tel monde et y participe.

A cela, les Oiseaux Migrateurs opposent une « école de vie », celle des Wandervogels et de N.F.S. Grundtvig, et une « éducation totale », telle que définie par Pierre de Coubertin. Il y opposent aussi un culte de la « grande santé », promue par Jean Prevost (7). Il y opposent enfin l’esprit du peuple, l’esprit völkisch wandervogel ou folkelig des grands réformateurs scandinaves.

Le tout se résume dans leur devise (8) :

« Devenir mûr et rester pur »

(1) Il s’agit ici de la liberté de la jeunesse dirigée par la jeunesse, libérée de toute emprise — voire prise d’otage — politique, philosophique ou religieuse par la société, celle des adultes.
(2) Cela dans le sens où le commente Karl Höffkes
(3) Le symbole du « Bouais-Jan » a été exalté par le poète et écrivain normand Louis Beuve (1869-1949). Ce fut aussi le nom d’une revue régionaliste normande du début du XXe siècle.
(4) cf. Réveil national et culture populaire en Scandinavie d’Erica Simon (1960). On notera qu’il reste de ce courant de très nombreuses écoles de ce type en Scandinavie, et aussi en Allemagne. Elles y sont très populaires, et désormais institutionnalisées. Néanmoins, la plupart se sont éloignées sensiblement de leur vocation première.
(5) Grundtvig mettait un accent particulier sur cet aspect, qu’il considérait comme fondamental, car porteur selon lui de l’essence d’un peuple, de son univers mental et spirituel. C’est ainsi que dans sa logique, par exemple, tout Normand devrait apprendre la mythologie scandinave, et tout Breton la mythologie celtique.
(6) Le folkeand des Norvégiens
(7) Écrivain normand (1901-1944), Grand Prix de l’Académie Française. Comme ouvrages relatant son “école de pensée”, nous mentionnerons : Dix-huitièmme année (Gallimard), Nous marchons sur la mer : Trois nouvelles nouvelles exemplaires (Gallimard), Plaisir des sports, Essai sur l’introspection (Au sans pareil).
(8) Empreintée au Pèlerin entre deux mondes de Walter Flex.

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