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Mercredi 8 octobre 1997 - 23h00
Michel TournierRobinson et son double un film de Max Armanet avec la voix de Jacques Weber une production: |
Cest " Vendredi " qui ma initié au monde magique de Michel Tournier. Je devais avoir treize ans. Mon frère aîné suivait lenseignement de Gilles Deleuze à la faculté de Vincennes qui venait douvrir. Un jour, alors que le cours portait sur la perversion de la solitude Deleuze prit pour exemple {e premier roman, et alors unique, de Michel Tournier " Vendredi ou les limbes du Pacifique ", recommanda de lire cet " dextraordinaire ouvrage ". Ainsi, le livre entra à la maison et dans ma vie. Récit daventures donnant des clés pour décrypter le monde, " Vendredi " avec " Les Trois mousquetaires ", " IAiguille creuse " et " Lîle mystérieuse " fut lun des livres qui marqua mon enfance. Je rencontrai son auteur dans son presbytère de Choisel vingt ans plus tard, en lui demandant un article pour le Nouvel Observateur.
A ma grande surprise, celui que lon considère comme lun de nos plus grands écrivains ne rechigne pas à travailler à la commande et se plie aux contraintes du genre avec étonnamment de simplicité. Ce qui fait de Tournier un si agréable compagnon, cest ce va-et-vient permanent entre la pensée la plus sophistiquée et le discours le plus accessible. Passant dune conversation triviale à des réflexions métaphysiques, sans jamais laisser son interlocuteur sur le bord du chemin. Fasciné par les mythes et les symboles qui
colorent le monde, il sen sert pour le déchiffrer, sans jamais se faire piéger par le moment subtil où un signe, sans rien changer apparemment, devient son contraire. Ce quil qualifie " dinversion maligne ".
Réaliser un film sur Tournier, cest dabord faire entrer le lecteur dans cet univers passionnant placé sous le signe du double. Signe sous lequel sinscrit toute son uvre, son lieu de vie et le bonhomme. L`écriture la plus simple possible, devait laisser la place à plusieurs degrés de lecture. Adopté ce principe revenait, finalement, à tendre à lécrivain un miroir qui respecte aussi bien les premiers plans que les lointains. Par exemple : limage du ciel se reflétant sur le miroir dune chambre à travers la fenêtre ouverte de sa maison, ou celle de deux pigeons noirs et blancs perchés sur lhorloge du clocher de Choisel qui domine son jardin, ont arrêté lil du fondateur des Rencontres photographiques dArles. Comme à chaque fois quil trouve à lire entre les lignes dune image.
Max Armanet
Françoise Merlliè (dictionnaire des auteurs)
TOURNIER MicheI. Écrivain français. Né le 19 décembre 1924 à Paris dans une famille aisée, marquée par le catholicisme, le goût de la musique et de la culture allemande. De sa petite enfance, il retient deux événements majeurs : ablation des amygdales, ressentie comme une sanglante mutilation, expérience du " premier exil " et du " sadisme enfantin " dans un home denfants. Sa vie agitée de lycéen sachève avec un baccalauréat de philosophie. Enthousiasmé par cette matière, découverte à travers Bachelard, il se destine à lenseigner. Durant les années de licence et de D.E.S., où il prépare parallèlement une licence en droit, il se lie avec Michel Butor, Gilles Deleuze et François Châtelet. Puis pour approfondir ses connaissances, il se rend en Allemagne : quatre années entrecoupées de brefs séjours en France où il prépare avec Claude Lévi-Strauss un certificat dethnographie. De retour en France, il se présente à lagrégation... mais échoue. Très affecté, il renonce à lenseignement.
Commencent alors une vingtaine d"années dapprentissage" où il vit de petits métiers : journalisme, traductions d`ouvrages allemands, émissions à la radio puis à la télévision sur la photographie - qui le mèneront à participer à la fondation des Rencontres internationales de photographie dArles - enfin, charges diverses aux éditions Plon. Lexpérience des médias, en particulier, lui fait découvrir sa propre voie : sans renoncer à sa vocation philosophique, sadresser au grand public en opérant le passage de " la métaphysique au roman " par le biais du mythe. Celui de Robinson lui permet de mener à bien Vendredi ou les limbes du Pacifique en 1967, alors quil avait jusque là abandonné de multiples tentatives romanesques. Sitôt publié, Vendredi est couronné par le grand prix du roman de lAcadémie française, et ce succès est réitéré par celui du Roi des aulnes qui obtient le prix Goncourt en 1970, deux ans avant que lauteur lui-même ne soit coopté dans cette académie.
Désormais, Michel Tournier peut se consacrer entièrement au " métier décrivain " dans son presbytère de la région parisienne, tout en faisant partie du comité de lecture des éditions Gallimard, en intensifiant sa présence dans les médias, et en effectuant de nombreux voyages, dont iI utilise des éléments pour ses uvres, en particulier Les Météores, son troisième roman, paru en 1975. En 1977 est publié Le Vent Paraclet, " autobiographie intellectuelle " où il analyse, notamment, ses trois premiers romans. A partir de là, à côté duvres romanesques comme Gaspard, Melchior et Balthazar (1980), Gilles et Jeanne (1983), et La Goutte dor (1985), il publie des recueils de contes et récits : Le Coq de bruyère (1978), Le Médianoche amoureux ; (1989), ainsi que des essais ou recueils dessais portant principalement sur la Littérature et limage : Le Vol du vampire (198I), Le Vagabond immobile (1984), les Petites proses (1986), Le Tabor et le Sinaï (1988). Enfin, la réécriture, destinée à un jeune public de Vendredi ou les Limbes du Pacifique , Vendredi ou la Vie sauvage, (1971) et de Gaspard, Melchior et Balthazar Les Rois mages, (1983) traduit sa volonté décrire avec toujours plus de simplicité.
Dans Le Vent Paraclet, Michel Tournier précise ses ambitions littéraires : " Mon propos nest pas dinnover dans la forme, mais de faire passer dans une forme aussi traditionnelle, préservée et rassurante que possible une matière ne possédant aucune de ces qualités. " Cette forme " traditionnelle ", liée au jeu de différents registres réalisme, mythe, philosophie contribue à faire lire Tournier dun vaste public, en France comme à l'étranger, et il est déjà considéré comme un " classique " étudié de 1école primaire à l'université, tandis que théâtre et cinéma adaptent ses uvres. Celles-ci, cependant suscitent des réactions très divergentes, attisées par les commentaires de lécrivain, qui, volontiers provocateur, y jette tour à tour le soufre et leau bénite. Mais lunivers romanesque lui-même se révèle ambigu, peuplé de marginaux, partagés entre la tentation de la folie ou de la mort et le désir de " changer sans déchoir ". Écriture réaliste et rationalisations philosophiques semblent donc destinées à rendre sensible et à légitimer un monde fantasmatique, énigmatique et déroutant.
par Arlette Bouloumié : Magazine littéraire (janvier 1986)
Luvre de Michel Tournier doit son originalité et son succès à lactualisation des mythes de logre, emprunté à la tradition orale, et des jumeaux, repris aux religions les plus anciennes de lhumanité, mythes aujourdhui oubliés ou " travestis et brisés ", " noyés dans lépaisseur dune affabulation puérile ", celle des contes auxquels ils prêtent " leur puissante magie ".
La culture anthropologique acquise auprès de Claude Lévi-Strauss, ce maître dont il suivit les cours au Musée de lHomme et dont il souligne limportance dans léveil de sa vocation décrivain, explique lomniprésence des mythes dans luvre de Michel Tournier. Pour lui, le langage du mythe nest pas périmé. Il peut encore faire " tressaillir en nous une âme puérile et archaïque qui comprend la fable comme sa langue maternelle et comme lécho de ses origines premières ". Mais il faut pour cela que lécrivain redonne vie à ces mythes, gardiens de vérités secrètes et oubliées, léguées par le passé, quil les empêche de devenir " lettres mortes et froides allégories ". " De la nuit des temps rayonnent dobscures clartés qui illuminent pour un instant les misères de notre condition et sappellent mythologies ".
Sil faut définir le mythe au sens ethnologique du terme, disons que cest une histoire qui sest passée au commencement des temps et qui " cherche à rendre compte à la fois de lorigine des choses, des êtres et du monde, du présent et de lavenir ". Par cette histoire fondamentale, une société explique son destin. Lors dune émission de télévision diffusée le vendredi 4 mai 1984, Claude Lévi-Strauss proposait encore cette définition. " Un mythe est une histoire qui se passe à une époque où animaux et hommes nétaient pas réellement distincts et pouvaient passer indifféremment de lun à lautre. Lâge des mythes, cest celui où la communication était possible, les êtres à cheval sur deux natures ".
Chaque roman de Michel Tournier se déroule à deux niveaux : le contenu manifeste se situe dans le monde daujourdhui, le contenu latent renvoie aux mythes dorigine. Le roman comme le conte, " hanté par une signification énigmatique comme une vieille demeure par un fantôme, retentit indéfiniment déchos, de réminiscences ".
Ses romans nous transportent dans le temps mythique des origines qui correspond à un espace vierge, évocateur du monde de la genèse.
Dans Le Roi des Aulnes, le voyage de Tiffauges vers la Prusse orientale et ses confins hyperboréens au paysage archaïque et pur de lacs, de dunes et de tourbières est un retour au monde originel. Ce voyage dans lespace est aussi une remontée du temps, jalonnée par diverses rencontres : celle de lhomme des tourbières du premier siècle de notre ère, celle de lélan : " Cette bête à demi fabuleuse qui paraissait sortir des grandes forêts hercyniennes de la préhistoire ", celle des aurochs tels que les représentent les gravures rupestres néolithiques. Logre Tiffauges, qui senfonce de plus en plus dans la nuit des temps en quête de ses racines immémoriales, entretient de secrètes affinités avec ces monstres.
Robinson retourne aussi au point zéro de la création sur cette île déserte, comme suspendue hors du temps et de lespace, où lhistoire na laissé aucune empreinte. Lorsquil quitte le marécage où il tente doublier son malheur, " la statue de limon " qui sanime évoque le temps de la genèse, quand le premier homme fait dargile sortait des mains du créateur.
Dans Les Météores, la rêverie de sur Béatrice au sujet des innocents, nous transporte au moment des premiers tâtonnements dans ces temps exceptionnellement féconds des commencements, riches de toutes les potentialités : le monstre nest-il pas lagencement maladroit de lalphabet originel ?
A un temps et un espace mythiques correspondent des personnages : logre, les jumeaux qui rappellent la confusion des origines évoquées par Claude Lévi-Strauss où hommes, animaux et dieux nétaient pas réellement distincts.
Le géant Tiffauges, persuadé de lantiquité vertigineuse de ses origines " Jétais là déjà il y a mille ans, il y a cent mille ans " fait penser à ces Titans qui régnaient avant le déluge. Mais par son flair, sa vue insuffisante, ses appétits de grand prédateur qui raffole de chair crue, il sapparente à la nature animale, animalité mise en évidence par son cheval au nom significatif : Barbe-Bleue, qui souligne lanalogie de logre et du hongre. Tiffauges peut dire avec fierté : " Barbe-Bleue nétait quun autre moi-même ". Ce chasseur solitaire est aussi un homme sauvage. Que Tiffauges soit en outre un mage doué de pouvoirs visionnaires le dictionnaire Korting des langues romanes suggère létymologie " augure " pour ogre contribue encore à lisoler de ses semblables pour en faire un être hors norme dont linstinct infaillible réconcilie animalité et divinité.
La nature des jumeaux nest pas moins incertaine : la naissance gémellaire en Afrique est toujours sentie comme extraordinaire, attribuée à une intervention divine : ils seraient alors fils du ciel, comme les Dioscures ou animale et maléfique. Dans Les Météores, Paul se demande sil est un monstre, sil porte malheur ou sil est un être supérieur, doué de pouvoirs.
Michel Tournier se veut fidèle à la structure même du mythe. Il obéit, dans Le Roi des Aulnes, non à des impératifs psychologiques ou historiques mais à une logique profonde quil rapproche de la contrainte impitoyable de la fugue. Dans LHomme nu, Lévi-Strauss écrit : " Avec linvention de la fugue, la musique assume les structures de la pensée mythique au moment où le récit littéraire, de mythique devenu romanesque, les évacue. Il fallait donc que le mythe mourût en tant que tel pour que sa formule sen échappât comme lâme quittant le corps et allât demander à la musique le moyen dune réincarnation ". Michel Tournier et Claude Lévi-Strauss citent avec la même admiration LArt de la fugue de Jean-Sébastien Bach. La structure du Roi des Aulnes peut apparaître comme la transposition dans le roman des règles très rigoureuses de la fugue, elle-même héritière des structures de la pensée mythique. Un jeu calculé de répétitions en écho, de symétries, dinversions, de superpositions dimages y édifie une architecture savante. Phorie, antiphorie, hyperphorie sont des variations sur un même thème qui obéissent à des transformations par des opérations analogues à celle de lalgèbre.
Pour Lévi-Strauss, le roman est né de " lexténuation de la structure ". Il souffre dun manque de charpente interne. Michel Tournier rétablit dans le roman " le mécanisme mythologique et symbolique si contraignant quil détermine entièrement laction des personnages ". Rien ny est gratuit même pas la couleur des cheveux du héros. Si Robinson est roux, cest quil est prédestiné à la dignité de fils du soleil. Lhistoire des jumeaux est fidèle au mythe dont la fonction pertinente est de manifester surtout lécart entre les deux frères, lun étant mortel, lautre immortel.
Michel Tournier, tout en restant fidèle au langage mythique, lactualise et en renouvelle le contenu. Logre du Roi des Aulnes nest pas cannibale au sens propre du terme. Cest le champ métaphorique du cannibalisme imaginaire que Michel Tournier explore : logre, cest la guerre, lAllemagne, le nazisme. Le dictateur qui consomme la chair humaine, prédation qui sexerce de préférence sur la jeunesse séduite puis précipitée dans la guerre, est la version moderne de logre qui dévore les enfants. " Logre de Rastenburg ", cest Hitler, " logre de Rominten ", Göering.
Cette exploitation totale de lhomme par lhomme, jusquà lutiliser comme animal de laboratoire, montre que la médecine pervertie par lidéologie peut devenir ogresse. Dans la nouvelle " Les suaires de Véronique " Tournier évoque Vésale, le médecin de Charles-Quint, qui se livrait à la dissection des cadavres puis à la vivisection des prisonniers. Cette figure dogre au scalpel fait écho à celle, plus proche, du chirurgien Borgeois qui opéra des amygdales, sans anesthésie, Michel Tournier. Cette intervention décrite dans Le Vent Paraclet et courante à lépoque, fut vécue comme une véritable scène dégorgement par lauteur et explique peut-être limportance du mythe de logre dans son uvre. Elle était en tout cas suffisamment traumatisante pour avoir suscité, dans plusieurs uvres contemporaines, celle de Leiris ou de Michel Braudeau, dautres témoignages indignés.
Si le mythe de logre trouve un développement politique avec Hitler, Göering et le tyran Hérode de Gaspard, Melchior et Balthazar, il trouve aussi une extension dans le domaine de la sexualité : Gilles de Rais dans Gilles et Jeanne est un ogre sexuel qui enlève les enfants pour les sodomiser et les tuer. La passion du Roi des Aulnes, dans la traduction par Michel Tournier de la ballade de Gthe, est charnelle : " Ton beau corps me tente ". Tiffauges écrit : " Jaime la viande, jaime le sang, jaime la chair ; cest le verbe aimer qui importe seul. Je suis tout amour ". Limage cannibale devient métaphore de lamour.
C'est généralement lintégrité physique des êtres que logre menace mais il peut mettre en
danger aussi leur intégrité morale. Michel Tournier fit scandale en montrant le nazisme comme une entreprise de séduction de la jeunesse. Logre de " La fugue du Petit Poucet ", mérite son nom parce que ladmiration " dévorante " est destructrice de toute personnalité.
Michel Tournier ninverse pas le mythe de logre mais lui restitue son ambivalence. Comme tout grand mythe, le mythe de logre est traversé par des forces contradictoires. Les oppositions vie/mort, amour/haine le structurent. Logre noir implique logre blanc qui en est lautre face. Si Tiffauges sassimile dabord au Roi des Aulnes, logre germanique qui ravit lenfant dans la mort, il devient ensuite saint Christophe le sauveur. Or saint Christophe était dabord un géant à la faim insatiable. Ce passeur, doublet de Charon, image de la mort, une fois converti par le Christ devient protecteur, talisman contre la mort. Noublions pas que le mot ogre, selon létymologie la plus couramment admise, viendrait du latin : Orcus, dieu de la mort ou de lenfer qui aurait survécu dans les croyances populaires. Nous avons bien affaire avec logre à un mythe et non à une légende. Tiffauges sauve de la mort lenfant juif Ephraïm. Logre sauve le Petit Poucet du désespoir en lui contant la sagesse de larbre.
Michel Tournier donne une signification religieuse à lappétit de logre. Cest un manque, laspiration toujours déçue à une nourriture transcendante, quil exprime. Ainsi sopposent le banquet dHérode et le repas eucharistique de Gaspard, Melchior et Balthazar. Si logre veut dévorer lenfant, cest symboliquement quil cherche à sidentifier à lui en se lincorporant ; il aspire à linnocence, à la puissance vitale, à la beauté de lenfant. Quil sappelle Tiffauges, Hérode ou Gilles de Rais, logre est présenté comme un être déchiré, torturé par une angoisse métaphysique.
Michel Tournier établit entre les mythes des jumeaux et le mythe de logre une relation dopposition. Dans Les Météores, lun des jumeaux écrit : " Lhumanité est composée dogres, dhommes forts, oui, avec des mains détrangleurs et des dents de cannibales.
Et ces ogres ,ayant par leur fratricide originel déclenché la cascade de violences et de crimes qui sappelle lhistoire, errent de par le monde, éperdus de solitude et de remords ".
Le fratricide originel, cest, selon Michel Tournier qui transpose le meurtre dAbel par Cain, davoir tué son jumeau dans le ventre de sa mère car " Tout homme a primitivement un frère jumeau ". Logre est le symbole de lhomme déchu, coupable et solitaire. Les jumeaux au contraire actualisent cette croyance inscrite dans les langages et les rites les plus anciens de lhumanité : au début est le couple. Le mythe de landrogyne platonicien évoque cette unité duelle archétypale. Il est expliqué dans Le Banquet quà lorigine, lhomme était double : deux hommes, deux femmes en un couple homme/femme. Inquiets des pouvoirs de cet être parfait, les dieux le coupèrent en moitiés désormais indépendantes. Dans cette coupure que Michel Tournier rapproche de celle de lAdam primordial à qui on aurait enlevé, non sa côte mais son côté, sa moitié féminine, réside, pour lauteur, la chute de lhomme dans lhistoire. A lêtre désormais solitaire et nostalgique de cette perfection perdue, les jumeaux rappellent la plénitude originelle, ce qui explique la fascination quils exercent et leur rôle, dans les religions, de médiateurs entre les hommes et les dieux.
Mais lévolution des jumeaux accuse leurs différences. La séparation des jumeaux, dans Les Météores rappelle lessentielle coupure dont souffre lhumanité et la chute de lhomme dans la solitude. Michel Tournier restitue au mythe son ambivalence.
Partie de sombres prémices, luvre de Michel Tournier envisage pourtant la possibilité dune rédemption. Chaque roman est le récit dune quête métaphysique. Lauteur garde au mythe la dimension religieuse quil possède dans les sociétés primitives. Si le mythe de logre évoque le monde profané, déchu et déchiré de la chute dans lhistoire, si le mythe des jumeaux se dégrade en mythe des frères ennemis, le mythe de landrogyne, mythe dorigine, évoquant le monde sacré davant la chute, retrouve dans luvre de Michel Tournier une perspective eschatologique : la projection, dans la fin des temps, de leuphorie originelle. La conjonction des deux sexes dans un même être signifie en effet, symboliquement, la coïncidence des opposés à tous les niveaux, la réunion harmonieuse des contraires, ce qui est la définition la moins imparfaite de létat divin. Le mythe de landrogyne exprime le dépassement des conflits, la quête victorieuse de lunité, et lespoir en une humanité régénérée. Landrogyne est évoqué au début de Vendredi comme " le zénith de la perfection humaine " promise à Robinson. Dans Le Roi des Aulnes, " 1Adam archaïque davant la chute, porte-femme et porte-enfant " devient la figure finale à reconquérir, expression de la vocation surhumaine de Tiffauges. La quête de landrogyne polarise luvre de Michel Tournier, animé dun désespoir conquérant. Ses romans racontent les épreuves dun héros en quête dimmortalité. Il renoue ainsi avec une longue tradition mythique où le héros, comme Gilgamesh, plonge dans les ténèbres de la mort pour en triompher et surgir autre, égal aux dieux.
La phorie est lacte par lequel logre, cet être de ténèbres, encore proche de lanimal, va se redresser vers la lumière, non pour emporter lenfant dans un mouvement de rapt et dappropriation destructrice mais pour le porter, pour lexalter au sens étymologique du mot. La phorie doit son efficacité salutaire à cette victoire sur la pesanteur qui exprime une véritable transmutation de lêtre. Par la phorie, logre converti reproduit limage salvatrice de saint Christophe et de lAdam primordial androgyne. Le roman retrouve ainsi le temps cyclique et récurrent du mythe. Tiffauges guidé par lenfant Ephraïm est le symbole de la matière accédant à un statut spirituel.
Paul, le jumeau abandonné, surmonte aussi sa solitude. Dépassant la dualité des jumeaux, il intègre en lui les aspirations de son frère disparu. En redécouvrant dans les jardins la fraternité de lhomme avec les météores, il devient le jumeau du monde élémentaire. La nature cosmique à laquelle lauteur restitue une dimension sacrée, reprend dans ce livre limportance quelle partage, dans les mythes, avec les hommes et le surnaturel. Le livre sachève par une sorte de dissolution dans les météores car laccès à létat divin est imaginé comme la conquête dun autre corps météorique par exemple et implique la possibilité de multiples métamorphoses.
Contrairement aux romantiques qui fuient le monde réel, Michel Tournier veut restaurer lunité brisée entre le monde matériel et le monde transcendant. Il incarne lEsprit saint dans les météores. Il veut réintégrer le surhumain dans lhumain.
Les trois mythes de logre, des jumeaux et de landrogyne sont enfin lexpression dune même démesure, dune même volonté de puissance, dun même désir de dépasser toutes les limites de la condition humaine.
Logre se définit par la transgression de linterdit majeur de consommation de la chair humaine. Il trouve la souveraineté dans le mal. Les jumeaux transgressent linterdit de linceste. Comme Tiffauges, ils sont des monstres et se disent immortels. Logre est " vieux comme le monde, éternel comme lui ", les jumeaux affirment appartenir à léternité sereine des Dioscures. La constance dans luvre de Michel Tournier de héros mythiques transgressant nos interdits et nos limites traduit une quête du plus être.
Lambition de chaque roman est immense puisquil propose aux hommes de briser le cercle de leur finitude et de retrouver létat divin.
Entretien avec Marianne Payoy : Lire : (octobre 1996)
Il navait pas publié de roman depuis sept ans. Le voici en vitrine des librairies avec une jolie histoire inspirée de Moïse et sur les écrans avec un film de Schlondorf tiré de son " Roi des Aulnes ".
Voilà prés de quarante ans que le romancier règne dans lancien presbytère de Choisel, un petit village perdu au fin fond de la vallée de Chevreuse. Mais ne nous méprenons pas, Michel Tournier na rien dun gentleman-farmer. Tout de noir vêtu, sec comme un sarment, il aurait plutôt les allures dun sacristain recevant ses brebis égarées. A lhonneur cet automne avec le film de Volker Schlondorff adapté de son Goncourt 1975, Le roi des Aulnes, et un nouveau roman, Eléazar ou La source et le buisson (Gallimard), il se plie de bonne grâce aux questions. Et sans appréhension. A 71 ans, lermite de Choisel naccepte plus quun verdict, celui des enfants de six à douze ans. Un conte à lire en famille !
Quest-ce que cela vous fait de voir votre Roi des Aulnes porté à lécran ?
MICHEL TOURNIER.
Je trouve le film formidable, dune grande fidélité, trop peut-être. Est-ce cela quil fallait faire je nen sais rien. Javais déconseillé à Schlondorff de ladapter. De toutes mes histoires, cest celle-ci qui se prête le moins au cinéma. Cest ce qui lintéressait justement, de ne pas voir se dérouler le film dans sa tête en lisant le roman. Alors je lui ai suggèré de proposer à un compositeur contemporain de lui faire faire un opéra dont le livret serait tiré de mon roman, et de filmer lopéra, un peu comme Bergman a tourné La flûte enchantée. " Cest exactement le contraire de ce que je veux faire ! " ma-t-il rétorqué !
Vous aviez une grande confiance en Schlondorff ?
M.T.
On ne pouvait pas mieux tomber : lhomme qui a réalisé Le tambour de Günter Grass devait faire Le roi des Aulnes de Michel Tournier.
Avez-vous participé à ladaptation du livre ?
M.T.
Rien, je nai rien fait. Jai juste conseillé Jean-Claude Carrière, le scénariste, et Schlondorff lorsquils me lont demandé. Mais je ne suis pas homme de cinéma, ce nest pas mon métier. Je suis très mal à laise dans une équipe de tournage, jai lhabitude de travailler tout seul ; si jai besoin dune armée avec des chars dassaut, je les sors immédiatement de mon imagination, alors que ces idiots sont allés jusquà louer des chars soviétiques de la dernière guerre. Cela dit, jai déjà écrit des scénarios sur commande : La Goutte dor, Gillles et Jeanne, que jai ensuite transformés en romans. Répondre à des commandes est une bonne chose, ça vous oblige à travailler et vous empêche de traîner. Vous savez, la paresse... Les gens ne se rendent pas compte de la solitude de lécrivain, aller tout seul à sa table, ne rien faire, et personne pour vous le reprocher...
Avec tout ca, les scénarios, les chroniques au Figaro, vous nécrivez plus beaucoup de romans ! Eléazar arrive sept ans après Le médianoche amoureux.
M.T.
Dabord, on peut très bien ne pas publier. Avant la guerre, un journaliste a demandé à trente-six écrivains pourquoi ils écrivaient. Jean Paulhan, qui était une espèce de mandarin, frileux, précieux, craintif, a répondu : " Oh, jécris si peu, je ne pense vraiment pas avoir mérité ce reproche. " Je pourrais le reprendre à mon compte. Et puis, jai publié il y a deux ans deux ouvrages, Le miroir des idées et Le pied de la lettre, et un petit roman pour enfants, et vous savez, cest ce que je fais de plus important. Jai dédié Eléazar à une petite fille de onze ans, je vais juger mon roman daprès elle. Sil lui tombe des mains, jestimerai quil est raté. Je note mes livres en fonction inverse de lâge de mes lecteurs. Je fais chaque année une multitude de conférences dans les écoles, et là je me rends bien compte de limpact de chaque roman ou conte. Mes meilleurs ouvrages, Pierrot ou les secrets de la nuit, et Amandine ou les deux jardins, peuvent être entendus par des enfants de six ans. Ensuite, il y a Vendredi ou la vie sauvage, qui peut être lu à nous. Cest déjà moins bon ! Jai moi-même découvert la littérature à neuf ans avec Le merveilleux voyage de Niels Holgerssen de Lagerlof, ça a été mon premier choc littéraire. Les livres quon ne peut lire quà vingt ans sont ratés.
Quand vous avouez ne pas avoir dimagination, cest de la provocation ?
M.T.
Non, cest vrai, je ne suis pas du tout un intimiste. Je suis un cerveau branché sur le monde extérieur, un observateur, élève de Zola et de Daudet, qui voyage avec des jumelles. Quand Nourissier perd un manuscrit, il en fait un roman. Moi, je pourrais perdre tout ce quon veut, une maison, mes amis, je nécrirais jamais rien sur le sujet. Ma vie privée ne minspire pas. Elle nest pas inintéressante, mais je nen tire aucun suc littéraire. Ce quil me faut, cest Moïse !
Moïse est-il le plus beau des mythes ?
M.T.
Vous avez plusieurs mythologies, la grecque, la juive - biblique - et la moderne : Tristan et Iseut, Don Juan, etc. Il ny a pas de doute, cest dans la Bible que je trouve le plus dinspiration
Avec Moïse, vous avez enfin le " grand sujet " auquel vous aspiriez ?
M.T.
Eléazar est né dune question que je me suis posée il y a trois ans quand a paru le Moise dAndré Chouraqui. Au moment de lépisode capital où Moïse se voit refuser le droit dentrer en terre promise, Chouraqui sexclame en substance : " Cest un scandale, ça fait des millénaires que les rabbis et les théologiens se demandaient pourquoi Moise na pas pu accéder à la Terre promise, pourquoi Yahweh a commis une telle injustice à légard de son prophète numéro Un ! " Ça ma intéressé, jai tout lu sur Moïse. Le roman est parti de là.
Après trois ans de réflexion et de recherche, vous avez trouvé la solution ?
M.T.
Oui, je la donne dans le roman. Cest une histoire damour : Yahweh a décidé de le garder parce quil laime, cest son prophète. Il veut se débarrasser des lépreux qui ne pensent quà avoir de leau, des femmes et des enfants, et faire avec Moïse une grande race : " Je ferai de toi une grande nation ", lui promet-il. Le pauvre Moïse, qui ne demandait pas cet excès dhonneur, est déchiré entre les Hébreux et Yahweh. Cest lopposition du sacré et du profane. Voilà, jattends quon mapporte une meilleure interprétation.
Vous transposez lhistoire de Moïse dans lIrlande du milieu du XlXe siècle. Avec pour héros un pasteur irlandais, Eléazar, à qui il arrive bien des ennuis...
M.T.
Le choix de llrlande nest pas innocent ; cest un terreau formidable où lon retrouve côte à côte des catholiques, et donc Jésus, et des protestants avec Moise. Comme dhabitude, mon histoire a deux niveaux. Dans Eléazar, vous avez dune part laventure dune famille irlandaise qui émigre en 1845 sous le coup de la grande famine - ils ont été des millions à quitter lIrlande. Et donc le western avec des chevaux, des bisons, des serpents, des Indiens, des hors-la-loi. Dautre part, à létage au-dessus, Moise, qui devient une espèce de modèle grâce auquel Eléazar va déchiffrer sa vie. Comment comprendre Moïse ? En faisant comme lui, en traversant le désert. Si vous restez en Irlande, vous ne comprendrez rien à la Bible. Les gens qui vivent dans la verdure, la pluie, les sources, l'eau, les marais et la tourbe sont aux antipodes de la Bible. La Bible est un livre de désert, de sable. Pour atteindre le désert, Eléazar émigre avec sa famille en Amérique, et pour cela, traverse lAtlantique, de Cork à Portsmouth, durant quarante jours, comme la retraite de Moise sur le Sinaï. La rédemption viendra après lenfer de la traversée en bateau où ils ont côtoyé des centaines de malades atteints du choléra ou du typhus.
Votre héros Eléazar est un être hybride, qui balance entre le protestantisme et le catholicisme.
M.T.
Cest un protestant irlandais ! Qui va encore plus loin dans le sens de lhybridité en épousant une catholique. Au début, quoique pasteur et né dans une communauté protestante minoritaire, il se sent attiré par le catholicisme. Cest dans le désert du Colorado quil a la révélation foudroyante que le buisson ardent est le contraire de la source. Et il choisit le buisson. La source, cest le Nouveau Testament, cest Jésus, qui passe son temps au bord de leau, que ce soit le lac de Tiberiade, le Jourdain ou la fontaine de la Samaritaine. Son visage est trouble et mouillé ; Moïse, lui a un masque dur et lumineux
On retrouve là votre plaisir des oppositions comme celle des nomades et des sédentaires, des pasteurs et des agriculteurs.
M.T.
Elle est fondamentale dans lhistoire humaine. Les nomades ont été cependant longtemps les seigneurs qui exploitaient les sédentaires. Avec la Révolution française, on assiste au triomphe des sédentaires sur les nomades. La victoire des immigrés irlandais sur les Indiens et sur les cow-boys et leurs troupeaux de vaches, grâce notamment à linvention du fil de fer barbelé, témoigne de ce retournement. Le sédentaire finit toujours par gagner, même si ça prend des siècles On ne peut plus vivre en nomade.
Vous aimez aussi limage du salut par la souillure. Ainsi de votre brigand José le Cruel qui répand le bien après avoir incarné le mal. A cet égard, vous citez le mystique Angelus Choiselus : " Entreprends sans peur et le cur léger le voyage aventureux de la vie, de lamour et de la mort. Et rassure-toi : si tu trébuches, tu ne tomberas jamais plus bas que la main de Dieu !
M.T.
Vous savez qui est Angelus Choiselus ? Quand je veux prononcer une phrase sublime, comme je suis trop modeste pour lassumer jutilise plusieurs porte-voix, au choix : Angélus Choiselus moine dIle-de-France, Edouard Reinrot (cest Tournier à lenvers sans le u) très beau nom de juif allemand ; ou encore Ibn al-Ouaida, sage persan.
Vous navez jamais écrit de romans sous pseudonyme ?
M.T.
Non, je le ferais volontiers, jai une immense admiration pour Émile Ajar, mais malheureusement je suis trop sec. Pensez que cet animal de Romain Gary a pendant sept ans poursuivi ses deux carrières. Je suis dune stérilité terrible. Il y a deux façons de vieillir : on grossit et on pourrit, ou bien on se dessèche. Moi, je me dessèche en littérature. Physiquement, jai dû prendre deux kilos au cours des dix dernières années ce qui est toujours deux kilos de trop...
Eléazar, vous avez trouvé le titre avant de commencer à écrire ?
M.T.
Oui, jai besoin dun titre pour commencer. Il me fallait un nom biblique qui ne veuille rien dire, et puis jaime les jeux de mots, phonétiquement vous entendez " et les hasards ".
" Le hasard, cest Dieu quand il voyage incognito " écrivez-vous.
M.T.
Cest pas mal, nest-ce pas ? Cest encore Angelus Choiselus qui a dit ça. Pour un homme qui a la foi, il ny a pas de doute que le hasard est la Providence.
Pensez-vous comme Eléazar quil suffit douvrir la Bible pour trouver les réponses à toutes les questions ?
M.T.
Non cest une idée de secte protestante. Javoue que ce nest pas ma façon de résoudre mes problèmes. Je ne suis pas de ceux qui ouvrent la Bible quand ils ont un problème avec leur femme leur fils, leur jardinier ou leur peintre.
Mais je passe mon temps à compulser la superbe bible en vingt volumes de mon grand-oncle qui était curé-théologien-organiste-germaniste. Je men suis beaucoup servi, notamment quand jai écrit Gaspard, Melchior et Balthazar.
Dans tout conte il y a une morale. Quelle est-elle ici ?
M.T.
Celle quon veut. Jai fait un jour une conférence au temple protestant du boulevard Arago. On me posait des questions effrayantes du genre " Avez-vous la foi ? " Je leur ai raconté une histoire horrible qui courait après le premier voyage dans lespace de Gagarine. A son retour, il est reçu par Khrouchtchev qui lui demande : " Dis moi camarade, tu es allé au ciel, Dieu nexiste pas ? - Si, si, répond Gagarine, je lai vu. - Je men étais toujours douté, rétorqua Khrouchtchev, jai toujours pensé que le matérialisme historique, le marxisme étaient une bêtise. Cest une catastrophe, lURSS va seffondrer. Jure-moi que tu nen parleras pas ! " Là- dessus, Gagarine fait le tour du monde, il est reçu par le pape qui le prend à part : " Dis-moi mon fils, tu es allé au ciel. Alors tu as vu Dieu, il existe ! - Non, il nexiste pas. - Je men étais toujours douté, le christianisme, tout ça, cest de la foutaise. " Bref, Ihomme le plus dépourvu de foi a tout de même un doute, et lhomme le plus imbu de foi a lui aussi un doute. Pour ma part, je me suis détaché de mon éducation mais cest encore une façon de la servir.
Vous vous inspirez tellement des mythes que vous vous qualifiez vous-même de " pie voleuse "
M.T.
Jemprunte la matière mais je la fais mienne. Avec mes faibles moyens, je fais vivre le mythe. Prenez Vendredi, cest Robinson Crusoé. Jamais un mythe na été plus vivant que celui-là. Lîle déserte, la vie dans la nature, la plage, le soleil... autant de choses qui étaient totalement étrangères au cher Daniel Defoe et qui, à notre époque, font penser au Club Méditerranée : " Faites-le vous-même ", " Mangez le poisson que vous avez pêché " ; et puis il y a le thème de la rencontre avec Vendredi, ça cest le côté église Saint-Bernard, tous les Vendredi qui font la grève de la faim. Encore un problème qui était complètement étranger à Daniel Defoe. Dépasser son auteur : cest bien là le propre du mythe.
Comment le mythe de Moïse dépasse-t-il aujourdhui son auteur ?
M.T.
Je ne sais pas, mais lisez les journaux, les livres, ils ne parlent que de Dieu. On va vers un siècle religieux, Malraux avait totalement raison. Vous navez quà voir ce qui se passe avec la loi Gayssot, qui vous punit de prison si dans vos écrits vous mettez en doute les crimes commis contre lhumanité par les nazis. Cest le retour du blasphème, ce qui était absolument impensable voilà un siècle. Cest Salman Rushdie. LIran a Salman Rushdie, la France a Roger Garaudy. Je suis ni pour ni contre mais je constate le phénomène, on entre vraiment dans une ère religieuse.
Vous avez beaucoup écrit sur la photographie, sur limage. Que pensez -vous de lutilisation massive des images aujourdhui ?
M.T.
En fait, je me méfie beaucoup de limage. Jai fait des dizaines démissions à la télévision sur la photographie à lépoque où il y avait encore les monstres sacrés, Brassai, Lartigue, Bill Brandt..., jai été un des créateurs des Rencontres internationales dArles (je signale au passage que je nai jamais fait une bonne photo, une photo créatrice qui mérite dêtre publiée), eh bien, je suis maintenant persuadé de la dangerosité et de la nocivité de la civilisation de la photographie. Cest tout le sujet de mon roman La Goutte dor. Dans la nouvelle édition en Folio de mon livre Le pied de la lettre, jai introduit un mot de mon invention, l" iconisation ". Cest la destruction soit dun paysage, soit dune uvre dart, soit dun personnage par limage. Prenez la tour Eiffel ou la Joconde, vous ne pouvez pas les voir, vous ne voyez plus que leur image ; le pire, ce sont les êtres humains. Michael Jackson, le chanteur, est un véritable monstre, il na plus de visage, de sexe, dâge. Cest une marionnette faite pour sautiller et qui sera balayée quand elle sécroulera. Cest vrai pour bien dautres. Brigitte Bardot, par exemple, qui a été dévorée par sa propre image !
Vous partagez le monde, avez-vous écrit, " entre les heureux qui sont doués de la faculté dadmirer et les malheureux qui en sont dépourvus ". Vous vous rangez parmi les premiers ?
M.T
. Je suis un écrivain totalement admiratif. Pour moi, il ny a pas de pire disgrâce que de ne pas être capable dadmiration. Je ne peux avoir aucune amitié pour quelquun qui est frappé de cette impuissance. Qui ne sait pas quil y a des chefs-duvre, des gens admirables, de la beauté, de la joie.
Parmi vos admirations, figure-t-il quelques auteurs de cette rentrée littéraire ?
M.T.
Quelques-uns me plaisent bien, comme Robert Solé et sa Mamelouka qui traite de la libération dune femme grâce à la photographie. Mais pour vraiment juger la rentrée, il faudrait cinquante ans de recul. Pensez à toutes les erreurs accumulées par le jury du prix Goncourt. Ils ont oublié des chefs-duvre.. Je passe mon temps à dire à mes collègues : " Rappelez-vous 1932 ! " Cette année-là, le jury écartait Le voyage au bout de la nuit de Céline et choisissait Les loups de Guy Mazeline. Que Léon Daudet, fervent partisan de Céline, appelait Guy Vazeline. Il y en a eu dautres : Les Mémoires dHadrien de Marguerite Yourcenar nont pas eu une seule voix. Tout comme Le barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras ! Heureusement il y a le prix Renaudot qui rattrape les âneries du Goncourt. Ils ont couronné Butor, Le Clézio... Bref, on fait ce quon peut.
Avec toujours autant denthousiasme ?
M.T.
Je nai jamais eu denthousiasme. Je suis très content de faire partie du jury, cest une occasion de voir des écrivains, de parler littérature, on est tous un peu isolés, il ny a plus de salons ni de cafés littéraires. Mais il y a un mauvais jour, cest le deuxième lundi de novembre. Cest une journée affreuse ! Le menu, qui na pas changé depuis cent ans, est effrayant : louche de caviar Beluga, lobe de foie gras, homard à la nage, gigue de chevreuil, plateau de fromages, soufflé au marasquin, enfin café avec des petits fours au cas où lon aurait encore un petit creux ! Et puis il y a trop dargent en jeu. Le prix Goncourt rapporte en gros cinq millions au lauréat et dix millions à léditeur. Au début du prix, le livre ne se vendait pas. Le lauréat touchait un chèque de 5 000 francs, léquivalent de deux millions actuels, mais léditeur navait rien.
Avec trois nouveaux membres, le jury du prix Goncourt vient dêtre sérieusement renouvelé. Comment le vivez-vous ?
M.T.
LAcadémie française se transforme très régulièrement à raison de deux membres par an et donc change complètement en vingt ans ; lacadémie Goncourt, elle, subit un nettoyage total tous les vingt-cinq ans. Dici trois ans vous aurez un jury tout neuf. Rassurez-vous, lhiver va être très mauvais pour les Goncourt. On va tous se retrouver les pieds devant. A commencer par moi !
Justement, vous avez écrit votre nécrologie dans les Petites proses, savoureuse à bien des égards. Vous parlez notamment du " cortège qui accompagnera ma dépouille au Panthéon... " Comme Malraux ?
M.T.
Oui, il ma précédé dune courte tête. Aller au Panthéon, cest le comble du ridicule. Mais il la bien cherché ! Il a tout raté : il aurait dû être à côté de de Gaulle le 18 juin ; il nest pas entré dans la Résistance quand Roger Stéphane le lui a proposé ; il a attendu huit jours après le débarquement pour se " compromettre ", puis 1958 pour devenir le champion de
de Gaulle. Vous savez, jai toujours eu une antipathie pour quatre écrivains, très différents, de la même génération, qui sont Malraux, Aragon, Montherlant et Mauriac. Un jour, jai trouvé ce quils avaient en commun. Eh bien, ce sont des enfants de Barrès, et moi Barrès, je suis comme le lapin qui sent le putois, je fuis. Mon école cest la NRF, Gide, Valéry, Martin du Gard, Claudel.
Mitterrand, que vous avez bien connu ne se réclamait-il pas de Barrès ?
M.T.
Mais Mitterrand nest pas un écrivain. A vrai dire, ce nétait pas un problème, nous nous retrouvions sur Zola.
Je continue votre nécrologie : " En lan 2000, jaurai 76 ans, âge auquel mon père est mort, comme son père... Cest un bel âge pour mourir. On évite les humiliations de la vieillesse. " Vous persistez ?
M.T.
Je vais vous révéler un scoop, jai des ennuis cardiaques. Vous savez, il y a deux morts, il y a la mort sale, cest le cancer, et la mort propre, cest le cur. Voilà, jai une option pour la seconde. Je me fiche de mourir, à condition que cela ne soit pas précédé dune longue agonie.
Aurez vous le temps décrire un autre livre ?
M.T.
Ce sera probablement un livre sur Saint-Sébastien. On sait mille choses sur lui, sa date de naissance, sa famille, sa carrière, ses amis, sa mort, tout, y compris quil na jamais existé ! Tout cela est une légende, cest merveilleux, non ?
Jean Montalbetti : Le Magazine littéraire (janvier 1986)
Dans son nouveau roman, La Goutte dor, Tournier fait appel aux valeurs culturelles du Maghreb pour mener une Guerre sainte contre lopium de lOccident : le culte des images.
Tournier iconoclaste, on a le droit dêtre surpris quand on sait sa passion pour la photographie. On limaginait plus volontiers du parti des iconodules. Le voici tout à fait converti à la religion du signe. Une vraie guerre sainte contre lopium de loccident : le culte des images, photographies en tout genre, télévision et cinéma, " sa forme la plus triviale " Mais Tournier nest pas un pamphlétaire, cest un romancier dont lart consiste à réinsuffler les mythes anciens dans le monde moderne. Il en a fait superbement la démonstration dans Vendredi, dans Le Roi des Aulnes, dans Les Météores. En plein débat politique sur limmigration, ce sont les valeurs culturelles du Maghreb que Michel Tournier nous propose en modèle, peut-être parce quelles protègent mieux lhomme de lui-même pour le mettre à labri du malheur.
La Goutte dor est pour tout Parisien synonyme du quartier arabe de Barbès, au delà du boulevard de La Chapelle. Pour Michel Tournier cette bulle dorée " ne veut rien dire quelle- même. Cest le signe pur, la forme absolue ". Cette amulette, cest une chanteuse noire qui, dans le roman, la porte autour dun lacet de cuir. Cette femme noire est à la fois âme et flamme au milieu dune fête de mariage. Ladolescent qui lobserve et qui ramas-sera lobjet fétiche de la goutte dor, cest un berger berbère de quinze ans, Idriss. Il vit dans loasis de Tabelbala, au nord ouest du Sahara.
Le destin dIdriss a changé le jour où il a croisé une femme blonde, une Parisienne à la chevelure flottante, qui est descendue de sa Land Rover pour le prendre en photographie. Idriss a été littéralement vampirisé par cette créature de rêve en chemisette échancrée et short provocant. Elle lui a promis de lui envoyer la photo dès son retour à Paris. Une photo qui, sans jamais lui parvenir, va transformer sa vie, la miner comme une maladie mortelle, jusquà lultime guérison, la délivrance et laccès à la sagesse. Cest que limage est redoutée dans lensemble du monde musulman et particulièrement chez ces Berbères semi-nomades. Tous pensent quelle matérialise le mauvais il. Elle peut donc attirer le malheur, surtout sur celui qui la convoite et cherche à sy représenter de manière avantageuse. La mère dIdriss lui dira : " Cest un peu de toi qui est parti. Si après ça tu es malade, comment te soigner ? ". Il ny a à Tabelbala quune seule photographie, celle de loncle Mogadem, qui apprend à Idriss à lire et à écrire le français. Sur le mur de son gourbi, sa campagne dItalie : croix de guerre et photo épinglée, avec deux copains à Monte Cassino. Ce cliché lui a porté bonheur, parce que lui seul lavait dans sa poche. Les deux copains ont été tués : " Ils avaient laissé partir leur image ". La quête dIdriss va être désormais de récupérer sa photographie. Cinq ans après le cousin Achour, il quitte loasis saharien pour gagner le mirage de la métropole du nord, via Beni Abbès, Béchar, Oran, Marseille. Cest la route de lémigration vers le Paris de mai 68.
La goutte dor, quil va retrouver à Barbès, est lamulette autour de son cou avec laquelle il paie son passage à lâge adulte, cette " bulla aurea " des enfants romains, libres de naissance, qui devaient sen défaire le jour où ils revêtaient la toge virile. Idriss, l'adolescent de quinze ans, perd sa goutte dor, le talisman oasien signe de liberté, dans un bouge de Marseille en se faisant duper par une putain blonde platinée qui lui ouvre un sexe brun. Pour Idriss les blondes seront désormais associées à des voleuses : voleuses dimage (donc dâme) et de goutte dor (donc de liberté).
Le châtiment dIdriss dans sa quête de rachat sera de subir un calvaire en quatorze stations : autant dépreuves au cours desquelles il récupérera une partie de lâme quil sest laissé voler, pour pouvoir enfin être délivré de lenvoûtement de la femme blonde.
Première station : la légende de Barberousse, l'écumeur des mers, Kheir Ed Din devenu roi pour un an en détrônant le Sultan de Tunis Moulay Hassan. Ce contemporain de François 1er est défié dans le palais du Sultan par les peintures arrogantes de la royale effigie qui célèbrent une gloire à laquelle il croit avoir mis un terme. Le " diable de peintre ", portraitiste officiel, est jeté en prison jusquau jour où Barberousse comprend la force de limage. Ahmed est le peintre de la profondeur qui fait rentrer le temps dans ses portraits. Il va réconcilier Kheir Ed Din avec sa pelure fauve en le restituant à sa dignité de " roi des arbres et roi des bêtes " selon les paysages dautomne de la forêt européenne ; mais cest à ce moment-là que Moulay Hassan reprend Tunis et condamne Barberousse à lexil du nord. Deuxième leçon, celle de loncle Mogadem sur la photo de Monte Cassino : " Une photo, faut la tenir, la maîtriser " Troisième épreuve : celle du Musée Saharien de Beni Abès. En entendant le guide parler aux touristes des nomades berbères photographiés dans les vitrines, Idriss a limpression quon larrache à lui- même " comme si son âme avait soudain quitté son corps ". Lirréalité du décor, ce sera aussi la leçon de Mustapha, le photographe de Béchar qui recrée le Sahara dans son studio, " et je vous recrée par la même occasion ". Idriss a dans ce studio la révélation dune Afrique de pacotille pour fantasmes européens. Cest aussi là quil verra la représentation dun autre fantasme, son premier décor de Paris : la Tour Eiffel, IEtoile, le Moulin Rouge et Notre-Dame sur une même toile. La cinquième et la sixième épreuves lattendent à Oran, la ville du nord : la sorcière Lala Ramirez, qui a le mauvais il depuis quelle a épousé un Espagnol, l'amène au cimetière devant la photo de son fils Ismaïl, mort à dix-sept ans. Cest lui quelle croit retrouver, mais Idriss " refuse dêtre enfoncé dans la peau dun mort " et séchappe. Pour avoir un passeport à lémigration, il faut une photo didentité. Celle qui sort de lappareil automatique est le portrait dun barbu bien différent de lui, mais Idriss pense : " Ce nest pas à moi à ressembler à ma photo, cest ma photo qui doit me ressembler ".
Une fois de lautre côté de la Méditerranée, le berger saharien rejoint les communautés de travailleurs émigrés, main duvre non qualifiée qui vit dans des foyers surpeuplés. On y est fondeur chez Renault, laveur de voitures, de carreaux ou de cadavres, plongeur ou éboueur. Cest en balayeur quIdriss va connaître son septième travail, fixé sur la pellicule dun réalisateur de télévision, Achille Mage surnommé Biglou : " une grosse tante sentimentale, bigleuse et bourrée dargent ". Idriss échappe à la prostitution, malgré les tentatives de racket des malfrats du Bar de lElectronic qui le passent à tabac. La huitième image le ramène à son rôle de chamelier, dans un film publicitaire pour les boissons Palmeraie. Lépreuve sera de se débarrasser en plein Paris du chameau encombrant et qui finira sa carrière au Jardin dAcclimatation.
Après les rixes, la police. Idriss aura aussi sa photo judiciaire, nez en sang, il au beurre noir : le déshonneur. Tout comme pour une autre enfant bédouine, Oum Kalsoum, dont Amouzine retrace la légende : le déshonneur a été pour son père la publication dans les journaux de la première photo de lenfant de huit ans qui commençait à chanter. Le paradoxe de celle quon avait surnommée " l'étoile de lOrient " aura été dêtre une femme sans homme, parce quelle était lépouse du peuple arabe tout entier. La onzième et la douzième épreuves, Idriss va les connaître en rencontrant le photographe Etienne Milan, un obsédé des mannequins de vitrine, mais exclusivement des garçonnets des années 60. Il a transformé sa chambre en véritable charnier : un monceau de mannequins en morceaux, cest lantre de logre.
Le piège de limage, cest aussi la télévision après le cinéma. Idriss, comme les anciens du foyer de Barbès, lui préfère la radio : " Contre la puissance maléfique de limage qui séduit lil, le recours peut venir du signe sonore qui alerte loreille " Mais il y a aussi dautres images- mirages, comme les rêves érotiques des peep shows de la rue St-Denis en trois cents secondes où les femmes nexistent que pour les yeux. Enfin lultime station de ce calvaire est la légende de la Reine Blonde, la bâtarde aux cheveux obscènes conçue au lever du soleil, qui a séduit et perdu tous ceux qui ont été fascinés par elle, et au-delà de la mort par son portrait. Seul le calligraphe, ce sage de lOrient, a su déchiffrer lenchevêtrement des signes et déjouer par là-même la force du maléfice. Un maléfice qui ne tient dans limage quà " laddition confuse et discordante de leurs significations ".
Le leçon de Tournier écrivain, contre les faiseurs dimages, est donc : pour se sauver, il suffit de savoir lire. Qui détient la clé des signes saffranchit de limage. Cest le calligraphe Abd Al Ghafari qui a enseigné à Idriss la supériorité du signe sur limage. Par là-méme il la guéri de leffigie en lui donnant avec le signe la clé qui libère le prisonnier de ses charmes. Il a conjuré lenvoûtement.
Mais sans doute restait-il un dernier geste à accomplir pour quIdriss puisse retrouver son âme. Place Vendôme, employé au chantier du parking, il défonce au marteau-piqueur la vitrine dun bijoutier où il a reconnu lobjet symbole de sa liberté : la goutte dor. Par elle, il reprend possession de la chanteuse noire, " lâme et la flamme de la fête ", lantidote de la femme blonde dont il sest enfin libéré.
Michel Tournier est ici un admirable conteur, sobre et juste. Il ne cherche jamais la séduisante facilité dun orient de pacotille ; mais ce nest pas non plus une vision réaliste des communautés dimmigrés quil veut nous donner, même si nous sommes frappés par lactualité de ce roman. Historien, il se passionne pour le choc des cultures. Philosophe, il est le subtil interprète des mythes et des symboles. Romancier, il retrace de manière attachante un destin individuel confronté à un longue quête de libération. Pour lécrivain aussi, le signe délie le sortilège ; la poésie est lâme et la flamme de la fête.
Rencontre entre deux hommes remarquables
UN DÉSIR NOMMÉ TOURNIER
Par Laurent Dispot : Globe (janvier 1996)
Il était inévitable que le président de SOS Racisme et lauteur de La goutte dor puissent se croiser. Cest chose faite grâce à Laurent Dispot qui nous livre, par ailleurs, une lecture - très spéciale- du roman.
~ Vingt jours avant, lors dune signature de son journal de bord Touche pas à mon pote (Grasset) au fond de la librairie " gay ". Les mots à la bouche, rue Sainte-Croix Harlem Désir me disait encore ne pas connaître le nom de Tournier. Huit mois auparavant au cours dun entretien pour Fréquence Gaie, Michel Tournier me tenait des propos étonnants de préjugés sur S.O.S. Racisme (Une organisation pour Maghrébins qui se fiche pas mal des autres minorités, Juifs, homosexuels, etc. " Chacun pour soi et Dieu pour tous ! " 8 avril 1985). Cest pour ces deux raisons que jorganise leur rencontre à la veille de Noël. Tournier a lu dune traite le "Touche pas à mon pote". Il dit que cest " brûlant dactualité ", il a compris quil sagit bien plutôt de " chacun pour chacun et S.O.S. pour tous ". Harlem a dévoré la Goutte dor, le roman de Tournier paru le 15 janvier, et révèle à nouveau ce tempérament de potasseur dexamens qui a surpris Peyrefitte (Alain).
La question des rapports de Tournier avec S.O.S. Racisme serait forcément posée à loccasion du déferlement médiatique autour de la sortie de La Goutte dor, dont le héros est un jeune Maghrébin migrant en France vers 1968-1970. Cette rencontre ? De ladmiration et du respect mutuels, mais une suite de " paroles verbales " très contrôlées. Tournier couve du regard ce Vendredi bien élevé, très lisse, trés en retrait. Harlem va au-devant du pédagogisme paternaliste de Tournier en lui parlant de son propre père, directeur décole. Je commence à percevoir ce qui se dissimule sous la conversation. La question homosexuelle ; la " querelle des images ". Dans le train de laller Harlem ignorait lexistence de " linterdit de la représentation " dans le judaïsme et lislam, essentiel pour comprendre la Goutte dor. Dans le train du retour, ayant perçu à quel point Tournier sétait dérobé à mes questions sur ce sujet, il minterroge là-dessus. Cest donc le premier élément capital de cette passionnante sous conversation : le voyage initiatique du jeune Idriss de La Goutte dor vers la libération par lécrit, est écrit par un fou de Photo (de 1960 à 1965) Tournier a animé lémission de télé Chambre noire ; il a fondé les Rencontres dArles avec Lucien Clergue, récemment il a publié des commentaires photos de " grands ". Des clefs et des serrures, puis les Vues de dos dEdouard Bouhat.
Deuxième sous-conversation où les deux se cherchent et sévitent : Tournier vit orgueilleusement célibataire dans son fameux presbytère, et le voilà qui peste à table contre le travail des femmes qui réduit la natalité, le voilà qui exhorte Harlem à avoir le plus denfants possibles. Peu de réaction. Lautre accuse le coup. Changement de service : Harlem insiste sur la " solitude " dIdriss dans La Goutte dor ; ça le turlupine ; il le répète ; Tournier ne bronche pas, il fait la sourde oreille... Jeu, set et match pour le refoulement de la question ! Et de fait Idriss nest jamais seul : comme dans tout bon roman de formation, la progression se fait dune rencontre à lautre (même un chameau) ; ce que veut dire Harlem, cest que le Berbére nest pas en conjugo. Perception parfaitement idéologique qui prend envie de revendiquer la solitude comme dautres la négritude, et fait sentir lalliance cachée des babas cool et Lady Di ! Entre la poire et le fromage, Harlem parle du tas de sable où toute une génération de mélangés enfants aurait appris lantiracisme. Tournier comme en écho parle du Sahara de son roman, mais sans faire le rapprochement. Et puis il parle de Gide, toujours en vrac apparemment.
Alors, joignez selon les pointillés : quest-ce que vous obtenez ? Que linnocence enfantine par rapport au racisme ne saurait se confondre avec une dénégation de la sexualité polymorphe, avec une vision rousseauisante dinnocence sexuelle (de tous les gars du monde qui se donnent la main, surtout pas plus, et évitent comme la peste de toucher à leur pote).
Le tas de sable entre la France et le Maghreb, cest le Sahara, et il y a belle lurette que Gide et ses (nombreux) Ali, en toute " solitude " allègre, ont pris beaucoup de longueurs davance dans la dissolution de la crispation raciste.
Il y a enfin, surtout la sur-conversation, ce qui sexhibe sans mots, lemblème : Michel Tournier a proclamé à un Harlem écarquillé de plaisir que désormais il porterait la petite main de S.O.S. juste à côté de sa Légion dHonneur. Cela vaut tous les manifestes et dépasse les malentendus, les quiproquos, et autres. Un des problèmes qui filent avec légèreté et habileté le long de la Goutte comme le motif dabord indiscernable dune tapisserie, comme une nappe phréatique à la recherche de sa résurgence, est celui de liconoclasme religieux : de l" interdit de la représentation " commun au judaïsme et à lIslam, et que celui-ci a hérité de celui-là. Cest dans le conte de la Reine blonde à la fin du roman que cette clef de lecture fondamentale se dévoile brusquement. Tournier na jamais caché que ses uvres étaient toutes des " romans à clef " philosophiques. Mais personne ne sait comme lui être concret dans linstant même où se révèle le sésame ouvre-toi de la pensée la plus abstraite. Cette Reine blonde est un régal, un vrai loukoum. Chacun retrouve avec ravissement lensorceleur renouvelant sans fausse vergogne les vieilles recettes impérissables des nuits arabes et des frères Grimm. Cest en nous attirant par ce bonbon que Tournier nous détourne. Nous confronte au gavage esclavagiste des canons à images, à la fascination mortelle des icônes de la consommation pour reproposer la grande et lancinante objection monothéiste iconoclaste. La malédiction du culte des images, le rejet du Veau dor, linterdit de la représentation. Cependant, tout comme le Dieu dElie est plus dans une brise enfant que dans la tempête ou le tremblement de terre ou le volcan, la colère de Moïse et le souffle ardent de Mahomet dressés contre lidolâtrie passent ici dans lhistoire ingénue dune calligraphie de jeune garçon.
Dans Les iconoclastes (Seuil 1978), Jean-Joseph Goux a très précisément posé le problème, reliant Moïse à Freud puis à Kandinsky. Linterdiction de faire des images de Dieu sétend à tout portrait, puisque lhomme est fait à limage de Dieu ; selon Freud dans Moïse et le monothéisme, cet interdit de la représentation est un triomphe de la spiritualité sur les sens, signifie le renoncement aux instincts, et cette nouveauté religieuse coïncide avec le passage du matriarcat au patriarcat. Goux enfon le clou : il y a " un rapport prodigieusement éclairant entre linterdiction judaïque dadorer des images et linterdiction de linceste avec la mère ". LIslam a repris ce principe en lexagérant, par réaction contre le culte de la Vierge-Mère ressuscité par le christianisme : " Il est remarquable que lIslam, qui a eu à se constituer contre le christianisme, soit plus intransigeant encore dans liconoclasme que le judaïsme... Avec la révolution iconoclaste, dans le vide quaménage le temple (synagogue, mosquée), cest une division du féminin qui sindique : le sanctuaire iconoclaste est le site de lopposition la plus grande entre le maternel et le féminin, de la différence entre la mère et une femme. " Par contre, licône chrétienne exhibe une Vierge qui est à la fois la Mère et (sic) IEpouse du Christ. Linceste fusionne dans limage et sy complaît comme Narcisse dans le miroir.
La Reine blonde, le merveilleux petit conte qui achève La Goutte dor, dit exactement cela de toute la puissance de sa simplicité : jouir de limage tue. Par consomption. La consommer consume. On résiste à cette fascination mortelle des images par lécrit. Lécrit relève toujours de lEcriture, est donc iconoclaste. Destructeur des images et en même temps les recomposant sous son contrôle, disant leur vérité, Jean-Joseph Goux montrait la persistance de la révolution iconoclaste dans lart abstrait (Kandinsky, Mondrian, Malevitch), Michel Tournier rappelle lancienneté des arabesques décriture, cette esthétique extrême du non figuratif dont chaque courbure, chaque allongement est un engagement physique autant quune profession de foi (La Goutte dor fait de la calligraphie une sorte de yoga de la respiration.)
Cette pratique archaïque de la calligraphie est présentée comme un refuge pour limmigré, le Musulman, sous le bombardement dimages de la société de consommation (" Paris la ville- lumière ! La ville-image ! Des femmes et des images par millions ! "). Le vieux prophétisme iconoclaste va-t-il prendre un coup de jeune, face à lenvahissement de la photo, de la télévision, du cinéma, de la vidéo, de la publicité, des disneylands. Cette civilisation du maternage, de lallaitement forcené par limage, ne peut pas ne pas heurter tôt ou tard le roc obstiné de linjonction patriarcale monothéiste. Cest lexpérience sereine de ce sevrage volontaire, libérateur, que réalise lIdriss de La Goutte dor. Le protestant français Jacques Ellul sinsurge depuis longtemps lui aussi de son côté - voix dans le désert - contre linvasion des images, le mépris du discours sous le règne de la technique télévisuelle, bref La parole humiliée (Seuil 1981). Grâce à la luxueuse pauvreté de moyens du roman (ce que coûte un film !) Tournier va faire toucher plus intimement tous ces problèmes. Ce nest pas tant le " retour du religieux " qui fait problème, car il nest pas premier : cest le débarquement massif du règne des images, dune nouvelle idolâtrie. Le religieux nest quune position de repli par rapport à cela qui est perçu comme agresseur. Il na pas loffensive, linitiative.
Tout nest pas aussi simple, et le moyen de séviter des positions aussi tranchées des deux côtés est dabord le recul. Lironie de lHistoire ; Tournier ny est pour rien - veut que les " vieux " du foyer dimmigrés de La Goutte dor, tenant pour la Parole et la parole, pour le Coran et la radio (contre le goût des jeunes pour la télé), vouent un culte à... une Mère. Superlative : Oum Kalsoum (Oum signifie " mère "). Elle est la voix par excellence de la radio et on la dit descendante du Prophète, elle a dailleurs commencé en psalmodiant les sourates. Mais le culte qui lui est voué aurait du mal à ne pas passer pour maternel, et son image partout affichée atteste ouvertement de ce superbe retour du refoulé.
LEgypte na pas fini de faire des siennes dans cette affaire puisquil paraît que le Veau dor par lequel tout a commencé nétait autre quune vache, image dIsis modèle des Déesses-Mères incestueuses. Sortir encore une fois dEgypte ou retourner sy enfermer dans un esclavage didoles-vidéo... Doser le bon usage de limage, de limagination, de limaginaire... Ne pas perdre le chemin des libertés et des richesses que recèle laustère pauvreté de moyens de lécrit : IIdriss-Ulysse de Michel Tournier se pose autant de problèmes fondamentaux contemporains que le Candide ou lingénu de Voltaire, et aussi facilement. Il y aura ceux qui ne voudront pas les voir, et cest permis, et ceux qui distingueront dans ces histoires dimages et décritures, de maternel, de retour du symbolique iconoclaste, le sourire de Lacan et sa fameuse triade : Réel-Symbolique-Imaginaire. R.S.I prononcez " hérésie ".
Quest-ce que la littérature ?
Jean--Jacques Brochier, entretien avec Michel Tournier : Magazine littéraire (décembre 1981)
Notre époque sinquiète aussi de ce quest la littérature, sa littérature. La coïncidence est
frappante : Julien Gracq nous dit ce qui se passe en lisant, en écrivant, Marthe Robert scrute la vérité littéraire. Michel Tournier pose les mêmes questions, sur le livre, Iécriture, la lecture, dans une remarquable recueil dessais, Le vol du vampire (Mercure de France). Interrogeant les écrivains et les paysages, la philosophie et la poésie, Michel Tournier arrive à cette conclusion, que la littérature est aussi indispensable à la vie que lair que nous respirons.
Quest-ce que la littérature ? cest une question qui se pose à nouveau aujourdhui.
-Regardez la coïncidence : coup sur coup paraissent le livre admirable de Julien Gracq En lisant en écrivant, et le livre de Marthe Robert, La vérité littéraire, qui pose cette question. Bien sûr, quand on dit : Quest-ce que la littérature ? on pense immédiatement à Sartre.
Cest bien le signe : près de quarante ans après que Sartre ait posé la question et lui ait donné la réponse quon sait, la question se repose. Et réclame des réponses tout à fait différentes.
Cest ainsi que Sartre dit que le prosateur se sert des mots, ce qui implique une théorie du langage qui le réduit à la transparence, à lutilitaire. Aujourdhui, les écrivains ne seraient sans doute pas daccord.
-Les mots sont plus ou moins asservis selon les genres : la formule mathématique constitue le degré maximum dasservissement du mot puis, dans un ordre décroissant, les sciences, les sciences de la vie, puis lhistoire ; puis les biographies romancées, puis le roman ; enfin, le degré dasservissement du mot est minimun dans la poésie. Au sommet, le mot nexiste pratiquement pas, cest un simple outil souple comme un gant. A la base, le mot est tout. Dailleurs, cette hiérarchie est confirmée par la traduction : pour une formule mathématique, les problèmes de traduction sont nuls, et ils sont tels pour la poésie quils sont insolubles. On peut faire deux poèmes, en deux langues différentes, sur le même thème, mais on ne traduit pas un poème.
Dans la prose ; on trouve évidemment tous les degrés : la prose est plus ou moins " poétique ", les mots sont plus ou moins gras, plus ou moins lourds, plus ou moins substantiels. Mais, comme je le dis dans lessai sur Sartre : " Le Vol du Vampire ", Sartre ninnove en rien dans le langage, il se contente demprunter la prose romanesque que lui ont livrée Zola, Maupassant, Flaubert et Balzac. Alors que Proust ou Céline inventent véritablement au niveau du langage.
Cest pourquoi vous écrivez que Proust et Céline sont les deux plus grands romanciers du XXe siècle. Il ny a pas de doute en effet. Ils sont plus grands auteurs littéraires que Sartre
Il me semble que vous oubliez Genet.
- Cest vrai. Genet est de la génération de Sartre, cest un cas parallèle. Et ses relations avec Sartre nont pas été simples.
Il est dailleurs curieux de constater quen défendant une telle théorie du langage, Sartre ne sest en fait intéressé quà des écrivains pour qui le langage échappait totalement à une telle théorie : Mallarmé, Genet, Flaubert.
- Parce que ces écrivains lui font problèmes. Alors quon aurait pu croire quil se serait davantage intéressé à Zola. Et il na jamais écrit un mot sur lui.
Vous intitulez votre recueil Le vol du vampire. Pourquoi ?
- Cest le titre du premier essai, qui est une réflexion sur la lecture. Publier un livre, cest procéder à un lâcher de vampires. Les livres sont des oiseaux, secs exsangues, affamés, qui errent dans la foule en cherchant éperdument un être de chair et de sang sur qui se poser pour se gonfler de sa chaleur et de sa vie : cest le lecteur. Tant quil nest pas lu, un livre nexiste pas. Ou plutôt il existe à moitié, cest une chose virtuelle. Comme une partition de musique qui nest pas exécutée.
Comme un tableau qui nest pas vu ?
- Eh bien non ! Un tableau qui nest pas vu peut lêtre quand même par nimporte quel regard qui passe, un oiseau qui vole. Un livre non lu reste non lu. Il y a là quelque chose de mystérieux.
Toujours est-il quune uvre nait quand un livre est lu, et que cette uvre et un mélange inextricable du livre écrit, cest-à-dire de la volonté de lauteur, et ses fantasmes, des aspirations, des goûts, toute linfrastructure intellectuelle et sentimentale du lecteur. Un livre a toujours deux auteurs : celui qui lécrit et celui qui le lit.
On pourrait ainsi établir une hiérarchie dans les arts, car je crois quil y en a une : jappelle majeur un art qui demande à son receveur, quil soit lecteur, auditeur, spectateur, une part importante de création. Et jappelle mineur un art comme, je men excuse, le cinéma, qui réduit son receveur à la passivité la plus complète, qui le met dans lobscurité, Ihypnotise pour lui enfourner des images, une histoire dans lesquelles il na aucune part. La passivité du spectateur de cinéma ma toujours fait peur, et jen vois le plus effrayant symbole dans la fameuse scène d Orange mécanique, où le héros, ficelé dans une camisole de force, installé dans un fauteuil de cinéma est contraint de regarder un film, avec des pinces pour lui maintenir les yeux ouverts, et une infirmière qui lui humecte régulièrement la cornée puisque, comme il ne peut pas cligner des paupières, elle se dessécherait irrémédiablement.
La part de création du lecteur
Le contraire de cela, cest le lecteur dun poème et je rejoins là Valéry, qui disait que linspiration nest pas létat dans lequel se trouve le poète qui écrit (conception romantique), mais létat dans lequel le poète qui écrit espère mettre le lecteur qui le lira. Linspiré, cest celui qui lit son poème, car il a vraiment besoin de son inspiration pour que le poème devienne ce quil est.
La part de création du lecteur peut être immense, dépasser même celle de lauteur. Un exemple frappant nous est fourni par le fameux vers de Bérénice : " Dans lorient désert, quel devint mon ennui ". Pour les contemporains de Racine, ce vers navait en rien le sens et le retentissement quil a pour nous. Et pour Racine lui-même. Lorient pour Racine, on ne sait pas trop ce que cest, mais on sait ce quil est pour nous, et quil nous vient du romantisme. Le désert, pour Racine et ses contemporains, cétait probablement la vallée de Chevreuse. (Ça navait rien à voir avec le Sahara). Pour Racine, ennui signifie chagrin violent. Ce nétait pas le spleen, ni cette espèce de vide quinspire le désert. En sorte quil y a strictement rien dans lesprit de Racine de ce qui signifie pour nous " dans lorient désert quel devint mon ennui ")
Il reste le vers.
- Le vers, cest nous qui le faisons.
Cest-à-dire que, pour en revenir à Valéry, la théorie quil développe selon laquelle lhomme de génie, le véritablement grand écrivain, est celui qui ne publie pas, qui " navoue jamais " cette théorie est fausse. Evidemment. Là jaimerais soulever un petit problème dhistoire littéraire. Jai écrit un article sur Isabelle Eberhardt, et, à ma grande joie, ce simple petit texte va probablement susciter une réédition de ses uvres, chose infiniment souhaitable, par la revue Sud. Dans un de ses livres, elle parle de cette hypothèse, que les plus grands hommes de lhumanité sont peut-être ceux qui nont jamais rien écrit, qui nont jamais rien " avoué " et que tous ceux quon connait sont des grands hommes de deuxième ordre, et elle attribue ça aux Frères Goncourt. Evidemment, cela ne pouvait pas être de Valéry à lépoque où Isabelle Eberhardt écrivait. Ce serait amusant de savoir doù vient vraiment cette idée, idée épatante, géniale, qui se trouve à la source de Monsieur Teste. Valéry la-t-il inventée, la-t-il trouvée dans le Journal des Goncourt, ou est-ce une rencontre ? Car cela aussi est possible.
Primaires et secondaires
Cest une théorie qui finalement met en jeu toute la littérature : est-ce que la littérature est communication, ou est-ce que, comme le pense Valéry, la publication nest que le déchet de la littérature, sa forme dégradée ?
- Pour Valéry, luvre est en effet le déchet dun certaine activité, et seule cette activité compte. La dédicace de La Jeune Parque à Gide est très claire. " A André Gide. Depuis bien des années, javais délaissé lart des vers. Essayant de my astreindre encore, jai fait cet exercice que je te dédie ". Ce quil lui dédie, ce nest pas lexercice, cest le déchet de cet exercice. Ce sont les gouttes de sueur. Et la publication est la plus grande faiblesse. Le vrai poète est celui qui écrit ses poèmes sur le papier de ses cigarettes avant de les rouler et de les fumer.
Tout cela, à mon avis, cest de la pose je nen crois pas un mot. Je dois énormément à Valéry, cest lun de mes pères fondateurs. Mais il a dinnombrables poses, trop de traits chez lui sentent le farceur. Par exemple, les rapports de Valéry aux mathématiques, de la foutaise ! Valéry voulait être officier de marine, il a été obligé dy renoncer parce quil était nul en mathématique. Et quand on voit le cas quil fait ensuite dans son uvre des mathématiques !
Mais il pouvait faire impression, car il en savait quand même un peu plus que les littérateurs quil fréquentait.
- Ça nétait pas bien difficile. Mais malgré ses poses, Valéry est pour moi le plus grand poète de langue française. Personne na jamais écrit léquivalent du Cimetière marin, de La jeune Parque, de La Fileuse.
Jai limpression que pour vous la poésie française se divise en deux courants bien distincts : le coté de Valéry et tout ce qui, de près ou de loin, ressortit au lamartinisme.
- Je fais dans un des essais du Vol du vampire une distinction que je trouve assez éclairante-dautant plus quelle nest pas de moi entre les secondaires et les primaires. Pour éviter tout malentendu, le sens de ces mots na rien à voir avec lacception scolaire. Le secondaire cest celui dans la vie duquel le passé et le futur jouent un rôle essentiel au détriment du présent. Les secondaires ont toujours un pied dans leur passé avec ce que cela suppose darchéologie, de recherche, de nostalgie, de remords, et lautre dans lavenir qui est angoissant, menaçant : la vieillesse, la mort, linconnu. La vie dun secondaire est une chambre décho et un dédale de souterrains. Le type même du secondaire, en poésie, serait Baudelaire, en prose Proust.
Alors que le primaire na aucune mémoire, méprise le passé : souvenez-vous du " misérable petit tas de secrets " selon lexpression de Malraux, primaire type. Valéry aurait pu dire la même chose, il la dailleurs écrit à peu de choses près à propos de Gide qui, lui, était un secondaire.
Il y a en poésie une grande lignée de primaires, que jaime infiniment, et qui sengendrent les uns les autres. Sans remonter trop loin, Théophile Gautier, lhomme pour qui le monde extérieur existe, ce qui veut dire entre autres que le monde intérieur nexiste pas, Mallarmé, Valéry, Saint-John Perse. Poètes solaires, qui se plongent dans lextase de linstant. Les secondaires, ce sont Baudelaire, Verlaine, les romantiques allemands.
Cette distinction, il ne faut pas lappliquer à coups de hache. Allez donc savoir si Victor Hugo était dun côté ou de lautre ! Ils sont nombreux pour qui la clé ne fonctionne pas : ce nest pas un ouvre-boîte littéraire. Mais elle sert souvent.
Ce qui est étonnant, cest la fascination quexercent souvent les uns sur les autres : Gide sur Valéry, Valéry sur Gide, Voltaire sur Rousseau. Voltaire le primaire à cent pour cent essayez dimaginer les Confessions de Voltaire ! alors que Rousseau traîne derrière lui ses viscères, tout son passé ; et ils nont jamais pu se séparer, ils sont morts à quelques semaines dintervalle, comme sils ne pouvaient pas vivre lun sans lautre. A la génération suivante, le grand couple primaire-secondaire, Napoléon-Talleyrand. La fameuse phrase de Talleyrand : " Quiconque na pas vécu sous lancien régime ne sait pas ce que cest que la douceur de vivre ", est une formule typique de secondaire. Alors que pour Napoléon, chaque matin qui se levait était le début du monde. Et ils sont unis par un mélange dadmiration et de dégoût. Pour Talleyrand, Napoléon, cest la nouveauté, le printemps, la jeunesse, mais cest aussi un instinctif et une brute. Pour Napoléon, Talleyrand ce sont les cours dEurope, cest une famille aussi ancienne que les Bourbon, cest lhistoire, mais cest aussi la pourriture : " vous êtes de la merde dans un bas de soie "
Le cas de Gide est particulier : cétait un secondaire qui avait horreur de sa secondarité, qui rêvait de devenir un primaire. Ce sont les Nourritures terrestres, " Nathanael jette ce livre et quitte moi. " Les nourritures terrestres, un vrai manuel pour devenir primaire quand on ne lest pas. Gide a passé sa vie à mépriser les secondaires comme lui. Par exemple Proust, pour qui il éprouvait une sorte de dégoût : son refus du premier volume de la Recherche du temps perdu à la NRF est une réaction viscérale. Cétait la part de lui-même quil voulait rejeter. De même il na pas cessé de critiquer et de moquer Charlie du Bos, secondaire à cent pour cent. Alors que lont fasciné Valéry, Oscar Wilde, Claudel, Pierre Louys et puis Henri Gheon, primaire viscéral, logre au grand rire rabelaisien, à la sexualité sans détours. Il voulait prendre auprès deux des leçons de bonne santé.
Cest très intéressant de voir cette primarité conquise alors que généralement elle est donnée dès le berceau.
Gide ou lengagement véritable
Pour Gide, cest une sorte de gymnastique.
-Exactement : Gide fait des exercices de primarité tous les matins en se levant.
Il y a trois dédicaces qui touchent exactement au problème qui nous occupe : Les fleurs du mal, déjà par son titre un recueil de poésie secondaire, bourrelé de remords, de regrets, de spleen, est dédié à Théophile Gautier, " poète impeccable " mot admirable quand on voit à quel point Baudelaire se sent peccamineux ; La jeune parque, uvre primaire, dédiée à Gide, mais avec un coup de chapeau à Valéry lui-même : " lexercice que je te dédie " ; puis llmmoraliste que Gide dédie à Henri Ghéon, " mon franc camarade ".
Il me semble que vous avez parfaitement raison de replacer Gide à son niveau dimportance, lun des plus élevés.
- Pour moi, Gide est sans doute le seul véritable écrivain engagé. Alors quil était ouvert aux choses de la vie, cétait un jouisseur, excellent pianiste, quil adorait visiter les villes dart, gourmand de tout, quil avait son côté dandy, quil avait de la fortune, il na pas cessé de sempoisonner lexistence en se lançant à corps perdu dans des causes qui ne pouvaient que lui rapporter des coups et le ruiner, et peut- être même mettre sa vie en danger, parce quil estimait simplement quil fallait le faire, que cétait à lui de le faire. Cela a commencé avec Corydon quil a publié au moment même où lAngleterre victorienne écrasait Oscar Wilde, et que Gide était persuadé quil allait subir le même sort. Et il avait toutes les raisons de le croire. Puis, tout un hiver, il sest imposé daller siéger tous les jours dans un tribunal de Cour dAssises pour voir et témoigner comment on rendait la justice. Puis ses engagements politiques. I1 adhère moralement au Parti communiste alors que les trois quarts de la France lui sont violemment hostiles, puis, à son retour dURSS, il est le seul à dire ce quil a vu, à dénoncer de paradis socialiste, ce quétait la réalité du stalinisme. Louis Guilloux au contraire, qui a fait le voyage avec lui, na jamais dit un mot. Et Gide, qui sétait déjà mis à dos toute la droite, se met à dos toute la gauche. Noublions pas le voyage au Congo, qui a duré dix-huit mois, qui était physiquement dangereux, dur, pour dénoncer le colonialisme et loppression des grandes compagnies. Je ne vois pas qui dautre aurait fait cela. Ni Malraux, ni Sartre, ni Camus, ni qui on voudra. Aucun ne sest engagé aussi complètement ni de manière aussi désintéressée.
Dautant quil ne le faisait pas, comme Malraux, par goût de laventure.
-Il y avait chez Gide un côté homme de devoir. Dailleurs, tous ceux qui ont fréquenté Gide y ont été sensibles. Ce sens du devoir, Gide le devait sans doute à sa mère. Car sil la beaucoup détestée, et sil en a beaucoup souffert, finalement il devait lui ressembler énormément.
Dailleurs, dès que sa mère a été morte, il a trouvé un substitut dans sa femme, Madeleine.
- Affreux ! La Madeleine de Gide et la madeleine de Proust, sont des témoins du passé, mais celle de Proust était infiniment plus agréable, parce que Proust cheminait en sens inverse de Gide.
Il y a un autre écrivain dont on sent dans votre livre quil a pour vous de Iimportance, même si vous ne lui consacrez pas de texte particulier, cest Cocteau.
- Je suis assez éloigné de Cocteau pour toutes sortes de raisons : il était avant tout poète, et je ne le suis pas. Son côté parisien, à la pointe de lactualité, me fatigue. Sa sexualité mest complètement étrangère. Mais il ny a pas un auteur dont jai plus de citations présentes à lesprit, et plus importantes, que Cocteau. Il y a des phrases de Cocteau que je naurai jamais fini de caresser et de redire parce quelles sont inépuisables. Il mest arrivé à plusieurs reprises, répondant dans des écoles à des enfants qui me posaient la question que pose Marthe Robert sur la couverture de son livre : quest-ce quil y a de vrai dans ce que vous écrivez ? " décrire au tableau pour toute réponse la phrase de Cocteau : " je suis un mensonge qui dit toujours la vérité. " Cest une phrase quon peut mettre toute sa vie à comprendre, mais cétait la réponse à la question quon me posait.
Une chose me frappe énormément : la parenté de Cocteau avec Oscar Wilde. Cétait le même esprit, un peu plus fin peut-être du côté de Cocteau. Quand Oscar Wilde dit : " méfiez-vous du crime il conduit facilement au vol et du vol à dissimulation il ny a quun pas " ou sa théorie sur la nature qui imite lart, cest très proche de Cocteau. Mais il natteint pas certains sommets de Cocteau. Par exemple le Cocteau à qui on demande ce quil emporterait de chez lui si sa maison flambait et qui répondait : le feu !
LAllemagne et la Méditerranée
Tout à lheure, vous avez prononcé le mot Méditerranée. Il me semble que vous avez deux pôles : lAllemagne et la Méditerranée.
- Pas la Méditerranée, mais le Sahara, lAfrique blanche. Je ne suis pas très méditerranéen. Pour moi, la mer cest locéan, et particulièrement la marée basse. Dans Les Météores, jai écrit une page où jessaie le plus de me rapproche de la poésie, de donner aux mots leur poids, leur densité, leur opacité, sur la marée basse. Et jai appris, jen suis très fier, que cette page avait été donnée à plusieurs reprises en dictée dans des Iycées. Cela me plaît beaucoup, cela me rappelle le mot du père de Pagnol, qui était instituteur et qui disait : " Anatole France, quel écrivain ! de chacune de ses pages on peut faire une dictée. "
La mer, cest la marée basse, les grandes étendues de sable mouillé, avec des varechs, des rochers immergés, des reflets, des vases. La Méditerranée, cest une flaque pour faire trempette.
Mais il y a le Sahara.
Le Sahara, cest quand même le contraire de la Méditerranée : cest le sec.
- Mais cest aussi le Sud. Jai en projet, le roman dun travailleur immigré, qui part dune oasis du Sud, pas dOran ou dAlger. Le Sahara est dailleurs une invention de la mythologie française, exclusivement française. Les Algériens, ou les Mauritaniens, ne savent pas ce que cest. Pour eux, cest du néant, du vide. En France, nous avons Psichari, Charles de Foucault, Isabelle Eberhardt, Gide. Même le Pierre Benoit de lAtlantide.
Et, dans la dérision, Tartarin de Tarascon.
-Et puis la Bandera, la Légion étrangère, lEscadron blanc. Une mythologie qui marche, et où je marche à fond. Et jai aussi mon Sahara à moi.
Et lAllemagne ?
- Le vol du vampire comporte un bon quart, sinon une moitié de textes sur lAllemagne LAllemagne cest ma culture. Pas tellement littéraire. Je suis venu assez tard à la littérature allemande. Alors que mes parents étaient agrégés dallemand, et davantage littéraires. Moi jai fait de la philosophie, cest la philosophie qui ma plongé dans lAllemagne. Ce nest quassez tard que jai lu Novalis, Kleist ou Thomas Mann. Mais je les ai lus avec un il de philosophe. Dans Le vol du vampire, je rends hommage à mon professeur, Maurice de Gandillac, qui faisait au Iycée Pasteur des cours de philosophie, mais aussi de littérature. Et il ma montré à quel point lil du philosophe lisant la littérature était supérieur à celui du professeur de lettres. Et quand, lannée suivante, à la Sorbonne, jai assisté à des cours de professeurs de lettres, jai été atterré.
Dautant quen France, surtout pour les littéraires, la règle était davoir horreur des idées.
- Je me souviens par exemple dun cours sur Musset, de René Jasinski. Il ouvrait Musset :
" Dans Venise la rouge
Pas un bateau ne bouge "
remarquait les rimes en -ouge, parcourait tous les poèmes de Musset pour trouver dautres rimes en -ouge, nen trouvait pas et passait en revue toutes les lectures de Musset pour savoir où il avait pu les prendre. Moi, petit étudiant de 18 ans, je nen croyais pas mes oreilles.
A côté, les cours des philosophes extrêmement brillants, mais cétait Kierkegaard, Kafka, Sartre. Sartre, grand exemple du philosophe faisant de la littérature. Cétait autre chose que les rimes en-ouge.
Dans mon livre, jespère quon sent lil du philosophe. Il y a par exemple un chapitre sur Kant, et si on me demandait quel est, selon moi, le chapitre le plus utile, je dirai que cest celui-là. Ce que Kant peut apprendre à quelquun qui lit de la littérature et qui laime. Le quadruple paradoxe du Beau, le quadruple paradoxe du Sublime, sont fondamentaux pour comprendre la littérature. Ce sont des instruments indispensables, inusables, qui ne trompent pas. Lorsque Kant dit : jappelle sublime ce qui est absolument grand, cest génial, et vrai. Et comme toujours, contradictoire, puisque toute grandeur est relative. Une chose absolument grande, cest contradictoire dans les termes : cest le sublime, la tempête déchaînée, le Saraha, les montagnes, Dieu, le ciel étoilé. Cest absolument grand.
Nous sommes bien loin des rimes en -ouge.
Les classiques plumes à la main
Le drame, cest quune partie de la critique, aujourdhui encore, continue à ne sintéresser quaux rimes en -ouge. Malheureusement. Encore quon peut peut-être tirer quelque chose des rimes en -ouge. Mais si lon nen tire rien, cest ridicule.
Cest peut-être cet il différent qui vous fait parfois avoir des formules étonnantes, comme quand vous parlez " de loriginalité extraordinaire de La Mère de Pearl Buck "
- Je vais vous raconter comme cela sest passé. Il y a dans Le vol du vampire quelques préfaces, que javais acceptées uniquement pour des livres qui me plaisaient : Le père Goriot ou Madame Bovary. Un jour léditeur complètement en panne et affolé me supplie de lui faire une préface pour La Mère de Pearl Buck.
Jai accepté le pari dessayer. Et jai été réellement ébloui, je vous assure, par ce livre, cest un grand chef d, uvre. Et jai écrit la préface, dun seul jet, avec enthousiasme.
Jai fait ce texte rapidement, et je crois quil est plutôt bon. Alors quil mest arrivé le contraire avec Sartre. Cétait encore une préface, pour un volume qui réunissait La Nausée, Le Mur et Les Mots. Sartre, jen suis nourri, cest ma chair et mon sang. Jétais sûr de boucler le texte en quelques jours. Jai relu les uvres, qui ne mont pas surpris tant jen étais pénétré. Mais quand il sest agi décrire, je navais plus rien à dire. Comme si javais eu a écrire sur moi-même, comme si je métais regardé dans une glace. Et jai eu infiniment plus de mal à faire cette préface.
Le même phénomène sest produit avec Les Affinités électives de Goethe, que javais lu à 17 ans.
Lenvie quon a de dire quelque chose sur un peintre ou sur un livre na que peu de chose à voir avec sa valeur. I1 y a dimmenses peintres sur lesquels je nai pas un mot à dire. Il existe peut-être des peintres de dixième ordre sur lesquels je serais intarissable. Parce quils me posent un problème, quils minterpellent, quils me choquent ou quau contraire je me sens de mèche avec eux.
Nest-ce pas le problème de toute critique ?
- Peut-être bien. Il faut une certaine distance entre le critique et son objet.
Sartre sen sortait autrement, en écrivant très longuement sur ce dont il était le plus proche. Le Baudelaire est un court essai, lIdiot de la famille est gigantesque.
- Mais il y a peut-être dans cette prolixité un caractère pathologique. La prose de Sartre prend à la fin un côté inquiétant : on sent le pharmacomane. On parle trop de toxicomanie, on oublie la pharmacomanie, les drogues quon achète sous forme de médicaments. Et Sartre en absorbait par poignées.
A propos de lAllemagne, vous avez fait dans ce livre sur Kleist et sa mort avec Henriette Vogel un montage de textes qui en dit plus quaucun texte sur Kleist.
Cest beau, nest-ce pas ? Il ny a pas une ligne de moi ! Et je nai pas eu envie décrire une seule ligne. Je possède deux volumes en allemand, de lettres et de documents à propos de Kleist. Jai choisi, monté, traduit certains de ces textes. Cela fait une histoire fantastique. Je suis aussi allé à Postdam sur la tombe de Kleist.
Kleist était le superpervers. On a dit quil était sexuellement impuissant, cest possible, mais cela na pas grand intérêt. Ce qui est certain, cest quil était arrivé à lidée que la seule vraie façon de faire lamour avec une femme était de se tuer avec elle. Et dêtre couché dans le même cercueil. Cest la perversion absolue. Autre chose que la sodomie !
Il y a une grande volupté à lire une uvre classique la plume à la main. Un livre comme Le vol du vampire, jen écrirai un autre. Peut-être dans dix ou quinze ans. Peut-être sera-t-il centré sur la Prusse, jadore la Prusse. Je me vois assez bien faisant un recueil de Prussiana.
Cest très gidien cette relecture des classiques plume en main. cela permet souvent de remettre les choses au point. Ainsi quand vous insistez, et je suis parfaitement daccord avec vous, sur limportance et la réussite de Salammbô dans luvre de Flaubert.
- Il ny a pas que Salammbô quon esquinte. Madame Bovary, aussi. Et si on écoute certains soi-disant grands critiques, Flaubert ce ne serait que Trois contes, à la rigueur lEducation sentimentale, et surtout la Correspondance. Cest un peu raide. Salammbô est dune grandeur, dune beauté, dune drôlerie ! Le véritable humour de Flaubert, cest là quon le trouve.
Si lon vous demandait, après que Sartre ait défini la littérature comme engagement, comment vous-même la définiriez , que diriez-vous ? Ne serait-elle pas une sorte de discussion entre primaires et secondaires ?
- Peut-être. Mais pour moi, la littérature est une leçon de bien vivre. Aller à Venise avec tous les souvenirs littéraires que Venise évoque, cest autre chose. Madame de Stael naimait les paysages et les villes que sils avaient tout un environnement culturel. Identifier un être que vous rencontrez à un personnage de roman peut vous aider à mieux le comprendre, soit à laimer, soit à le détester. La littérature transfigure la vie quotidienne. Cest la définition de la sagesse.
La sagesse est un savoir qui entre dans la vie de tous les jours, qui modifie notre vision des choses, des gens, des paysages. Un homme qui a intensément vécu, par le dedans, la littérature, les chefs duvre, je ne comprendrais pas quil nait pas une belle vie, une vie réussie. Une vie aussi réussie que celle de Gide est impensable si lon oublie que Gide était à chaque instant un écrivain qui pensait toujours à ce quil pourrait tirer pour son uvre de ce quil entendait, de ce quil voyait, de ce quil sentait, et qui lisait Virgile tous les jours. La lecture illumine le quotidien.
ROMANS, RECITS, NOUVELLES
Vendredi ou les limbes du Pacifique, Gallimard, 1967
Le Roi des Aulnes, Gallimard, 1970
Les Météores, Gallimard, 1975
Le Coq de bruyère, Gallimard, 1978
Gaspard, Melchior et Balthazar, Gallimard, 1980
Gilles et Jeanne, Gallimard, 1983
La Goutte dor, Gallimard, 1985
Petites Proses, Gallimard, 1986
Le Médianoche amoureux, Gallimard, 1989
Eleazar ou la source et le buisson, Gallimard 1996
TEXTES POUR ENFANTS
Vendredi ou la vie sauvage, Flammarion, 1971 et Gallimard, 1977
Amandine ou les deux jardins, Editions G.P., 1977
La Fugue du petit Poucet, Editions G.P., 1979
Pierrot ou les secrets de la nuit, Gallimard, coll. Enfantimages, 1979
LAire du muguet, Gallimard, Folio Junior, 1982
Les Rois mages racontés par Michel Tournier daprès Gaspard,
Melchior et Balthazar, Gallimard, 1983
Sept Contes (Pierrot ou les secrets de la nuit, Amandine ou les
deux jardins, La Fugue du petit Poucet, La Fin de Robinson Crusoé,
Barbedor, La Mère Noël, Que ma joie demeure), Gallimard, 1984
Les Rois mages, Gallimard, 1985
Angus, Signe de Piste, 1988
Les Contes du médianoche, Gallimard, 1989
La Couleuvrine, Gallimard jeunesse/Lecture junior, 1994
Le Miroir à deux faces (La Fugue du petit Poucet, Ikonut ou linfini
et les Eskimos, Amandine ou les deux jardins), Seuil jeunesse, 1994
ESSAIS
Le Vent Paraclet, Gallimard, 1977
Le Vol du vampire (notes de lecture), Mercure de France, 1981, et
Gallimard, coll. Idées
Le Thabor et le Sinaï (essais sur lart contemporain), Belfond, 1988
Le Miroir des Idées, traité. Mercure de France, 1994, Gallimard,
Folio junior, 1995
Le Pied de la Lettre, trois cents mots propres, Mercure de France,
1994
TEXTES/PHOTOGRAPHIES OU DESSINS
Canada, journal de voyage (photos Edouard Boubat), Montréal, Les
Editions de la Presse, 1977, et Robert Laffont, 1984
Des clefs et des serrures, Le Chêne-Hachette, 1979
Rêves (photos dArthur Tress) éd. Complexes, 1979
Vues de dos (photos Edouard Boubat), Gallimard, 1981
Morts et résurrections de Dieter Appelt (photos de Dieter Appelt), Herscher, 1981
François Mitterrand. Pouvoir de limage et images et pouvoir (photos Konrad G. Müller)
Flammarion, 1983
Le vagabond immobile (dessins de Jean-Max Toubeau) Gallimard, 1984.
Le crépuscule des masques, photos et photographes, Hoëbeke, 1992
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